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Mon métier en est un de proximité, de chaleur humaine, de partage avec le public. Si je suis à mes heures journaliste de cinéma et, grâce au Magazine Strøm, chroniqueur littéraire, je suis d’abord et avant tout un artiste de théâtre. Le milieu artistique a été parmi les premiers à subir la vague d’annulations et de fermetures liées à l’interdiction de tout rassemblement, d’abord de 250 personnes et plus, puis, quelques jours plus tard, de tout rassemblement, quel qu’il soit.

Une série de deuils s’amorçait alors, et tant d’artistes se voyaient réduits au silence. Si nous comprenions bien sûr l’urgence d’agir face à la crise sanitaire, nous n’en étions pas moins ébranlés dans notre identité même. Alors que les spectacles à venir – et à rêver – tombaient comme des mouches pour mes camarades et moi, je dois avouer qu’il m’est arrivé dans le dernier mois de me sentir inutile. Mais si « l’industrie » culturelle n’est pas inscrite à la liste des services essentiels, le réflexe premier de plusieurs personnes confinées n’en demeure pas moins de se tourner vers l’art pour s’apaiser, se divertir, pour entrer en soi et paradoxalement se connecter au monde extérieur, autrement, par des notes bienfaitrices, par des mots qui pansent, par des couleurs nouvelles, par des fictions mâtinées de réel, en ces temps où le réel prend trop souvent des airs de science-fiction…

En tant que boulimique de culture, je m’ennuie déjà viscéralement des arts de la scène, autant comme praticien qu’en tant que spectateur. Et c’est pourquoi j’ai eu envie de déroger un peu de ma chronique habituelle. Si les options télévisuelles, cinématographiques, littéraires et musicales ne manquent pas d’être recensées par les grands médias depuis la mi-mars, il m’apparaissait judicieux de porter à votre attention celles qui s’additionnent pour célébrer ce qu’on appelle les arts vivants – avec un détour volontaire par les arts visuels –, car ce sont ceux-là qui me manquent le plus, privés qu’ils sont de leur essence, donc de votre présence.

P.S. – Sur la photo qui accompagne ce témoignage, trois êtres chers à mon cœur, Christophe, Leticia et Maxime, issus eux aussi du milieu artistique, il y a déjà quelques jours… et quelques mètres. Devant le message bienveillant d’un résident de notre quartier, à Montréal : « SÉPARÉ.ES TOUS ENSEMBLES ». Dans les circonstances, pourquoi ne pas accorder le mot ensemble(s) au pluriel?

ARTS VISUELS

Sur les réseaux sociaux, entre deux arcs-en-ciel, vous avez sûrement pu admirer les traces de l’initiative du compte Instagram danois @tussenkunstenquarantaine, qui signifie simplement « entre art et quarantaine », relayée par le Rijksmuseum d’Amsterdam. Il s’agit de recréer une œuvre d’art à la maison, avec ce qui est à portée de main (mobilier, vêtements, nourriture et autres accessoires impromptus), et d’immortaliser le tout afin de comparer, non sans sourire, son humble création à son inspiration. La folle idée a vite été empruntée par des institutions muséales réputées, dont le Musée des beaux-arts de Montréal, le Metropolitan Museum of Art de New York ou le Getty Museum de Los Angeles, qui nous convient à redécouvrir leur collection en ligne pour provoquer l’étincelle créative. Plein de trouvailles à venir, en solo, en couple ou en famille, car c’est bien connu, l’art naît souvent de la contrainte. La jeune fille à la perle de Vermeer n’aura jamais été si populaire!

Le compte Instagram danois @tussenkunstenquarantaine

Le Rijksmuseum d’Amsterdam

Le Musée des beaux-arts de Montréal

Le Metropolitan Museum of Art de New York

Le Getty Museum de Los Angeles

THÉÂTRE

Art vivant par excellence, le théâtre s’est vu pour ainsi dire dématérialisé, avec la fin du printemps et le début de la crise, pour renaître sur les ondes. Rapidement, Radio-Canada a renoué avec la tradition du radio-théâtre, entre autres en programmant une lecture de Mademoiselle Julie, diffusée le soir même de sa première avortée au Théâtre du Rideau Vert, avec la comédienne Magalie Lépine-Blondeau dans le rôle-titre de ce drame de mœurs d’August Strindberg. La radio d’état a aussi accueilli le balado du concepteur sonore Laurier Rajotte, baptisé Théâtre à la carte et démarré en 2019, qui fait la part belle aux textes d’une nouvelle génération d’autrices, les Gabrielle Lessard (Ici), Rébecca Déraspe (Une maison de poupée, Ceux qui se sont évaporés) et Rachel Graton (21). Enfin, tels des phares dans la nuit, Julien Morissette et l’équipe de La Fabrique culturelle ont conçu Signal nocturne, une émission hebdomadaire qui tend le micro aux artistes endeuillés, dans des extraits de leurs créations aux ailes coupées; les comédiens Sophie Cadieux, Emmanuel Schwartz et Mani Soleymanlou se prêtaient à l’exercice rédempteur lors du premier épisode. Des rendez-vous doux pour tout amateur de théâtre.

La lecture de Mademoiselle Julie

Le balado Théâtre à la carte

La Fabrique culturelle

RELÈVE ET MULTIDISCIPLINARITÉ

La relève en arts affiche à la fois une soif d’expression manifeste et une précarité accrue, et l’École nationale de théâtre du Canada l’a bien compris. Elle annonçait au début du confinement un soutien d’urgence aux artistes émergents en cours de formation ou formés en théâtre dans les cinq dernières années – et pas seulement en ses propres murs, chapeau! –, sous forme d’une bourse pour créer des œuvres en ligne. De partout au pays, en français comme en anglais, et sans oublier les créateurs autochtones, qu’ils soient concepteurs, dramaturges ou interprètes, 80 d’entre eux dévoileront les fruits de leur imaginaire en temps de confinement. Quant à l’événement de création spontanée Nice Try, qui se tient normalement à l’Usine C, il se déplace ces jours-ci sur le web, et les artistes de tous horizons – chorégraphes, cinéastes, performeurs, etc. – ont toujours 48 heures pour accoucher d’une œuvre à la forme libre, si tant est que la liberté doit se canaliser par un écran. L’heure est à la (re)découverte.

L’école nationale de théâtre du Canada

L’événement de création Nice Try

La page Facebook de Nice Try

DANSE

Vos enfants ont un surplus d’énergie par les temps-qui-courent-entre-quatre-murs? La compagnie de danse jeune public Bouge de là propose, deux fois par semaine, l’activité Danse chez toi!, une invitation aux chorégraphes en herbe à explorer le mouvement via une vidéo thématique, par exemple à l’aide d’un simple foulard. Les danseurs des Grands ballets canadiens démystifient leur routine d’entraînement et donnent quelques cours sur Instagram, et tous sont encouragés à les imiter, à l’abri des regards. En termes de diffusion, l’Agence Mickaël Spinnhirny, spécialisée dans la circulation de la danse au Québec et en Europe, a répertorié plusieurs plateformes qui font honneur à cet art à la popularité grandissante, tout comme les productions de prestigieuses compagnies d’outre-mer en ballet et en danse contemporaine. Hebdomadairement, cette même agence fera découvrir ce printemps, dans la foulée du mot-clic #DANSEÀLAMAISON, une œuvre de danse bien de chez nous, dont Vertical, créé par Le Patin Libre, une compagnie montréalaise qui réinvente l’art chorégraphique… sur glace. Se dégourdir pour se désengluer l’esprit, un pas à la fois.

La compagnie Bouge de là

Le compte Instagram des Grands ballets canadiens

Danse à la maison de l’Agence Spinnhirny

Danse à la maison Vertical

CIRQUE

Comme leurs spectacles existent beaucoup grâce à la tournée, et ce, partout autour du globe, de Moscou à Las Vegas, les artistes de cirque ont vécu le ressac de la crise dès l’hiver. Quand même un fleuron comme le Cirque du Soleil vacille, c’est tout un écosystème qui en prend plein la gueule. Qu’à cela ne tienne, ce chef de file partage chaque semaine un condensé d’une heure des prouesses et univers fantaisistes de ses artisans; on peut ainsi attraper au vol des extraits d’Alegría, , O et autres Amaluna de sa « circographie ». Le prolifique collectif des 7 doigts de la main partage également depuis peu une captation inédite de sa création Séquence 8, dirigée par Shana Carroll et Sébastien Soldevila, qui portait justement sur notre interdépendance en société. L’introduction rappelle à juste titre que les artistes « ne sont rien » sans public. Le cœur nous pince un peu, et puis d’une acrobatie à l’autre, nos émotions empruntent des sentiers plus lumineux. Avec l’annulation récente de Montréal complètement cirque, nul doute que d’autres offrandes du genre surgiront au détour, pour mieux se recentrer sur l’essentiel, la tête en bas!

Le Cirque du Soleil

La page Facebook Les 7 doigts de la main

(Voir leur publication du 6 avril 2020)

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