L’EAU QUI FASCINE — Pourquoi sommes-nous attirés par l’eau ? Pourquoi l’homme près de l’eau a-t-il l’esprit plus léger et le corps reposé ? L’eau est-elle porteuse d’énergie ? La science explique les effets remarquables de l’eau sur notre santé et notre bien-être, alors que les écrits et traditions du monde témoignent du lien inévitable qui nous unit à ses vertus.
« L’eau est l’organe du monde », disait le philosophe Gaston Bachelard. Mais que se passe-t-il lorsque notre organe le plus complexe, notre cerveau, entre en résonance avec la caractéristique fondamentale de la planète, l’eau ?
L’esprit bleu
Dans son livre Blue Mind, le docteur en biologie Wallace J. Nichols a rassemblé un groupe de scientifiques, de psychologues, de chercheurs, d’éducateurs, d’athlètes, d’explorateurs, d’hommes d’affaires et d’artistes pour répondre à la question. Son constat : les océans, les lacs, les rivières, les piscines, les spas et même les fontaines peuvent influencer considérablement l’esprit. L’apparence, le son et l’odeur de l’eau ont un impact sur le cerveau.
Au contact de l’eau, l’esprit s’emplit d’une paix profonde, immersive et revigorante. Ce contact améliore les performances, augmente le calme, diminue l’anxiété et, par le fait même, pourrait accroître le succès professionnel. Nichols donne un nom au lien homme-eau : l’esprit bleu. L’esprit bleu fait référence aux changements neurologiques, psychologiques et émotionnels que notre cerveau subit lorsque nous sommes près de l’eau. Il s’agit d’un état naturel que nous connaissons instinctivement, mais que plusieurs d’entre nous ont oublié, trop distraits par le monde moderne. Cet état se caractérise par le sentiment de calme, de paix, d’unité, de bonheur général et de satisfaction dans le moment présent. Il s’inspire de l’eau et des éléments associés à l’eau, de la couleur bleue et du sentiment d’immersion. L’esprit bleu illustre non seulement le caractère essentiel de notre connexion à l’eau, mais aussi l’importance de s’en rapprocher.
L’amour inné
En 1984, Edward O. Wilson, biologiste et naturaliste, a utilisé le terme biophilia pour décrire son hypothèse selon laquelle un lien intuitif entre la nature et l’homme est ancré dans les gènes de l’humain. L’homme est instinctivement lié à la nature, à l’eau, et ce, physiquement, cognitivement et émotionnellement. Le concept de biophilie renvoie au besoin inné de l’homme de s’intégrer au monde naturel. Ayant perdu ses repères, l’homme moderne doit renouer avec son amour fondamental pour le vivant. Un amour inné aussi fort qu’indispensable. Le contact visuel avec l’eau et la nature procurerait des effets rassurants et bénéfiques sur le cerveau. Aussi simple que cela puisse paraître, l’homme y retrouverait ce qui lui a permis de vivre depuis des siècles.
Dans son livre Blue Rooms, John Jérôme, auteur américain, ajoute un élément important à tout cela : entrer dans l’eau, c’est aussi vivre le moment présent dans une totale proximité. Entre soi et l’eau naît l’intimité. « La terre est belle grâce à l’eau », explique John Jérôme à l’aide des exemples les plus éloquents. Dans l’oeuvre de Jérôme, l’eau n’est ni marchandise, ni ressource, mais plutôt un cadre évolutif d’évasion, de plaisir et de reconnexion. Des joies psychiques de la baignade jusqu’à la présence de l’eau dans le monde naturel, la vision de l’auteur nous transporte dans un espace méditatif qui apaise l’âme en changeant la manière dont nous percevons ce qui pourrait d’entrée de jeu paraître banal.
Les eaux sacrées
Purifiantes, vivifiantes, chargées d’histoires et de spiritualité, les eaux sacrées du monde entier ont une chose en commun : elles n’existent jamais seules. Interagissant avec l’ensemble du vivant, elles témoignent de l’universalité d’un lien, de l’union entre les fidèles et le divin.
Chez les Égyptiens, au temps des anciennes civilisations, le Nil était un dieu à part entière, vénéré et honoré pour ses eaux, sa terre fertile et l’abondance produite par ses crues. Plus à l’est, chez les hindous, le Gange est reconnu pour ses eaux sacrées et purifiantes qui libèrent le croyant de ses péchés et l’âme des défunts. Au sud des États-Unis, le fleuve Mississippi reconnu comme « le père des eaux » est historiquement le fleuve sacré du peuple mississippien, abritant les esprits de la nature. Une force tout aussi porteuse de sens que de souvenirs.
Chaque fleuve détient un rapport culturel, symbolique et rituel qui lui est propre, mais des caractéristiques similaires s’observent, d’une région à une autre : la création de récits emblématiques, une dynamique relationnelle privilégiée, l’eau comme source de vie, le culte de l’offrande et de la purification.
La poétique de l’eau
En observant l’eau et ses mystères, le philosophe et poète Gaston Bachelard témoigne de la profondeur de l’eau par la contemplation, la rêverie, l’imagination et la psychanalyse de symboles. Un essai sur la poétique de la matière naviguant les eaux dormantes et les eaux claires, démystifiant la morale et la parole de l’eau.
En capturant l’image du ciel et de la nature, le cours d’eau fait miroiter son propre décor. De son reflet émerge une réalité nouvelle, une forme d’unité vouée à la rêverie créatrice. Multipliant les images et les possibilités, l’infini au sein du rêveur est aussi profond que les eaux qu’il observe. Ici, l’eau se fait muse ou encore source d’inspiration illimitée.
Le ruisseau, la rivière, la chute ou encore la mer ont une voix que comprend naturellement l’humanité. L’eau se vit comme un long silence : « Il y a toujours un silence extraordinaire… On entendrait dormir l’eau. » (Pelléas et Mélisande, Maurice Maeterlinck)
Pour plonger dans le silence, l’âme recherche la nature endormie. Pour s’apaiser, elle se tourne vers les eaux dormantes.
Une relation transdisciplinaire
Étudiée sous l’angle de la science, de la spiritualité, de la philosophie ou même de la poésie, la connexion entre l’homme et l’eau transcende les idées, les continents et les années, nous offrant un constat aussi simple que fondamental : auprès de l’eau, l’homme se retrouve et s’apaise. Ce contact avec l’eau, peu importe son ampleur, est assurément positif. Du bord de la rivière jusqu’à la mer, passant par le spa, la piscine, le jardin aquatique ou encore la fontaine, l’eau réunit, rassemble ou isole, réchauffe ou rafraîchit, purifie, allège, transporte et réconforte, ne laissant au passage personne indifférent.
Sources
- Bachelard, Gason (1942). L’Eau et les Rêves. Paris, France : Librairie José Corti.
- Nichols, Wallace (2014). Blue Mind. New York, États-Unis : Back Bay Books.
- Jerome, John (1997). Blue Rooms. New York, États-Unis: Henry Holt & Company.
- Wilson, Edward (1984). Biophilia. Paris, France : Librairie José Corti.
- Orsenna, Erik (2020). L’esprit des fleuves, Calendrier des religions. Lausanne, Suisse : Édition Agora