De Kamouraska à Arvida, la littérature d’ici a toujours su arpenter le territoire pour raconter le Québec autrement. Regard sur cinq propositions récentes qui, loin de s’en remettre qu’aux seuls paysages, s’attardent d’abord à l’humain qui habite l’horizon.
Le guide des bars et pubs de Saguenay
de Mathieu Arsenault (Le Quartanier, 2016)
Qu’il dépeigne son propre milieu dans La vie littéraire ou les émois adolescents dans Album de finissants, Mathieu Arsenault a un souffle bien à lui, entre lucides fantaisies et soupçons d’anthropologie. Son nouveau titre est divisé en deux : d’abord, dans un essai sur la notion de téléphone-carnet (dans la mouvance de la caméra-stylo), Arsenault laisse entendre que la mise en scène du réel est devenue presque impossible, en cette ère d’hyperconscience de soi. Puis, en observant les clients des bars de Saguenay, avec un crochet à Rimouski, il transforme ses notes en poèmes impressionnistes, comme autant d’instantanés de barmaids, de fans de karaoké et d’autres chasseurs-conteurs de taverne : « c’est là que le buck a sorti / c’est là que le buck était / le buck était juste là ». Loin d’être le guide touristique houblonné que son titre annonce, ce bouquin condense plutôt ce qu’il y a de plus « vrai » dans la faune des 5 à 7 ou lorsque sonne le last call.
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117 Nord
de Virginie Blanchette-Doucet (Boréal, 2016)
En lice pour le prestigieux prix littéraire France-Québec, qui ne sera décerné qu’à l’automne, ce premier roman de la Valdorienne Virginie Blanchette-Doucet avance à pas feutrés sur les terres convoitées de son Abitibi natale. Les mines rachètent les propriétés des uns pour en extraire les richesses souterraines – « À l’aube, les familles marchaient à côté de leur maison juchée sur une remorque… » –, pendant que, pour Maude, ressurgissent les souvenirs d’enfance avec l’ami Francis, que la jeune femme a laissé derrière, et ceux plus frais des lingots d’or qu’elle façonnait tels des gâteaux précieux dans une raffinerie locale. Réfugiée à Montréal avec un seul chèque en guise de cadeau d’expulsion, l’héroïne ne peut s’empêcher de revenir sur ses pas et d’avaler les kilomètres anonymes du parc de La Vérendrye. Elle n’a pas vu sa maison être détruite, mais la région demeure son toit le plus réconfortant. Une signature tout en dentelle, à surveiller.
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L’imparfaite amitié
de Mylène Bouchard (La Peuplade, 2017)
Cofondatrice de la maison d’édition saguenéenne La Peuplade, Mylène Bouchard signe un troisième roman aussi ambitieux qu’enveloppant, qui déconstruit l’amour amical ou… l’amitié amoureuse ! Une journaliste culturelle prénommée Amanda, en l’honneur de la goélette Amanda Transport – oui, oui, la « vedette » du documentaire Les voitures d’eau, de Pierre Perrault –, s’y confie à sa fille Sabina sur cinquante ans d’une vie mouvementée, le cœur écartelé sur deux continents. Entre le Prague de l’exil et L’Isle-aux-Coudres qui l’a vu naître, cette grande aimante partage ses carnets de voyage et le fil de ses correspondances passionnées, dans une fresque de l’intime où se côtoient les fantômes de Charlevoix et des hommes-lièvres inscrits au registre des amours mortes ou ressuscitées. « Aimer, c’est voir avec les mêmes yeux […] écrire la même histoire. » Le lecteur ne peut qu’y questionner, ému ou songeur, les fondements de son cœur.
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887
de Robert Lepage ; illustrations de Steve Blanchet (Québec Amérique, 2016)
Signant ici sa pièce la plus personnelle depuis fort longtemps, Robert Lepage prend à bras-le-corps le thème de la mémoire – celles de l’enfance, du comédien et de la société québécoise – pour dire tout son amour filial et saluer son père, ancien héros de la marine canadienne devenu chauffeur de taxi pour subvenir aux besoins de sa famille. 887, c’est l’adresse de ses premiers pas, dans les années 1960, sur l’avenue Murray, en plein cœur du quartier Montcalm à Québec. Y sont convoquées les figures d’un voisin nommé Johnny Farago ou du général de Gaulle, tout comme des symboles chers à la capitale, parmi lesquels le parc des Braves et le Château Frontenac. De sa passion naissante pour le théâtre jusqu’au mandat épineux de livrer le vibrant Speak White au quarantième anniversaire de la Nuit de la poésie, Lepage s’y impose comme un créateur phare et convoque tout le Québec à sonder sa mémoire personnelle et collective. Un ouvrage d’exception, rehaussé par le talent graphique éclatant de Steve Blanchet, directeur de création chez Ex Machina.
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Les Murailles
d’Erika Soucy (VLB Éditeur, 2016)
Originaire de Portneuf-sur-Mer, la poète Erika Soucy est retournée sur la Côte-Nord, sur les traces de son père, pour « s’infiltrer » dans le chantier de La Romaine. S’inventant un titre de commis de bureau, elle y consigne en douce des pans de quotidien (extra)ordinaire, du cœur gros de la barmaid aux préjugés sur les Indiens (« Où c’qu’y’a des plumes, y’a du vol ! »). La figure du père absent y est dépeinte avec une justesse infinie, tout sauf amère, tandis qu’en filigrane, l’exode rural est repensé par les principaux concernés : « On a tellement un beau coin ! Si on déniaisait nos jeunes, y feraient de quoi de bon avec ça. En tout cas, de quoi de mieux que La Romaine pis que les mines à Fermont. » N’en déplaise aux Rambo Gauthier de ce monde – à qui Soucy avait d’ailleurs écrit une lettre virale sur les réseaux sociaux –, la construction n’est pas une fin en soi, même si elle n’est pas non plus une fatalité. Un roman d’une grande beauté, doté d’une langue fière, sans compromis.