Sur la petite table ocre du Bougainville, un verre de chablis côtoie mes songes et mon carnet de notes. Coincé entre le comptoir en zinc et la vitre donnant sur la terrasse, je promène ma rétine sur les habitués, absorbés dans leurs conversations. Les sourires sont conquérants, les échanges enlevés. Autour de moi le brouhaha du bistrot m’enveloppe, le cliquetis des verres, la gouaille des Parisiens qui s’échauffent… ce cocon ocre et pourpre me berce. Il flotte un air de familiarité, d’éternité. Comme si je pouvais soudain faire de ce morceau de Paris un rendez-vous hebdomadaire. Mais il faut rentrer demain, le blues du retour se faufile dans mes pensées. Je me sens alors un peu perdu, un peu désorienté, comme Bill Murray dans Lost in Translation.
Dans la rue, les Parisiennes semblent flotter au-dessus des trottoirs, un éclair au chocolat dans la main. Je pose mon menton dans mes paumes : je vais avoir 40 ans.
Une terrasse à Paris
Photo : © Charles Loyer
Le blues du retour, l’heure du renouveau
De l’autre côté de la vitre, la rue de la Banque et le passage des Petits-Pères s’égaient. Mon instinct me dicte de battre le pavé dans la plus belle des belles, la Galerie Vivienne, qui étire ses méandres à la sortie du bistrot. Dans le silence de mes pas, je me dis qu’à 40 ans… il n’est plus question de freiner. Dans le tumulte parisien, la vie me hurle de vivre, d’accepter la frénésie et la liberté. Je cours rue des Petits-Champs et aperçois l’arche. Ma tête pleine de résolutions. Et si le voyage, telle une thérapie, apportait certaines réponses au mieux-vivre ? Du moins, accélère-t-il ce sentiment ? Comme si cette adrénaline, l’intensité de l’ailleurs nous forgeait pour vivre plus longtemps. À l’approche de la rue Sainte-Anne, les terrasses débordent, les rires fusent, les trottoirs sont bondés… soudainement c’est l’abondance de vie. Je me demande aussitôt pourquoi ce petit verre de blanc des vacances ne deviendrait pas un rituel d’après voyage, histoire de vivre centenaire et de garder un moment de Paris avec moi. Je me laisse guider par mes pas au gré de la nuit, presque à la manière d’Owen Wilson, animé par ses rêves d’un autre temps dans Midnight in Paris.
Mais il y a aussi, dans ce retour, un sentiment étrange de transformation. On revient d’un voyage avec des éclats d’âme. Des morceaux de soi qu’on avait laissés ailleurs, qu’on n’avait pas vu s’ouvrir avant. Il y a une magie dans le retour.
Voyage après voyage, je ne trouve plus de place pour les souvenirs matériels, mais pour les rêves partagés, les petites idées qui naissent et se font plus grandes dans le silence. Ce sont les résolutions qui germent. Une promesse de vivre chaque jour avec plus d’attention, d’amour, de soin pour soi-même. Le voyage, alors, n’est plus une simple aventure extérieure. C’est un mouvement du cœur.
Mes pas s’arrêtent, je suis sous les colonnades du jardin du Palais Royal. Il me vient un tendre de Baudelaire, celui que vient de m’inspirer Paris : « il faut être toujours ivre, tout est là ; c’est l’unique question. Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve. Mais de quoi ? De vin, de poésie, ou de vertu à votre guise, mais enivrez-vous ! »
Vivre mieux : l’exemple des zones bleues
Selon une étude récente, voyager permettrait de ralentir le vieillissement. Le tourisme ne serait alors pas seulement une question de loisirs et de détente. Il pourrait également contribuer à la santé physique et mentale des gens. En voyage, on modifie nos habitudes, on se dépasse, on change de rythme… mieux voyager apparait alors comme une voie du mieux-vivre. Et puis, il y a ces fameuses zones bleues, ces territoires où la longévité semble croître en flèche. En Sardaigne ou encore à Okinawa, le temps s’écoule différemment. Chaque geste devient un hommage à la vie, à la santé, à la joie.
Et si nous devenions nos propres zones bleues ?
La clé semble être de concevoir notre mode de vie comme un voyage permanent. Ces Sardes ou Okinawaiens ne voyagent peut-être pas autant, mais ils ont su ancrer leur vie dans un état d’esprit qui rappelle celui du voyage : se reconnecter à soi-même, ralentir, savourer.
Longévité et voyage, un lien secret et subtil ? Peut-être est-ce dans la manière dont nous nous choisissons, dont nous nourrissons nos rêves et permettons à notre âme de ralentir pour savourer chaque seconde ? Le voyage ne devient alors plus une simple exploration, mais une véritable leçon silencieuse, un art de vivre qui s’ancre en nous, bien au-delà du retour. La véritable longévité ne se mesure pas aux années qui défilent, mais à la manière dont chaque instant est rempli, chaque geste, porté, chaque pensée, vécue. Car chaque voyage, chaque retour, chaque respiration est une chance de se rapprocher un peu plus de soi-même, de s’impliquer plus profondément dans la vie, d’aimer avec plus de ferveur. Peut-être est-ce là la magie secrète du voyage : ne pas chercher des réponses, mais des questions qui nourrissent l’âme et la font grandir.
Un pêcheur à Okinawa
Photo : © Skaterlunatic
« Voyage après voyage, je ne trouve plus de place pour les souvenirs matériels, mais pour les rêves partagés, les petites idées qui naissent et se font plus grandes dans le silence. »