Depuis quelques années, le jeûne intermittent a la cote. Alors que certains lui prêtent une multitude de bienfaits santé et y voient même une méthode miracle pour prolonger la vie, d’autres demeurent sceptiques face aux nombreuses affirmations qui l’entourent. Benoît Arsenault, chercheur et professeur au Département de médecine de l’Université Laval, nous offre une perspective nuancée sur la question, faisant le pont entre la science et les enjeux de société.
Photo : Productions Optimales
Bonjour, Benoît. Comment définissez-vous le jeûne intermittent? Pourquoi est-il devenu si populaire?
« Le jeûne intermittent est une pratique alimentaire qui alterne entre des périodes de jeûne et des périodes de prise alimentaire. Contrairement à d’autres régimes, il ne dicte pas ce que vous devez manger, mais quand vous pouvez le faire. Les approches les plus courantes incluent des fenêtres alimentaires limitées, comme le 16:8 (jeûner 16 heures et manger pendant 8 heures) ou le 5:2 (manger normalement 5 jours et réduire significativement les calories 2 jours par semaine). Cette simplicité apparente, combinée à des promesses alléchantes de perte de poids et de bienfaits sur la santé, explique sa popularité. Beaucoup y voient une solution “facile” pour consommer moins de calories sans sacrifier leurs aliments préférés dans le but de perdre du poids. D’autres le font pour ses bienfaits allégués sur l’augmentation de l’espérance de vie. Mais cette approche soulève de nombreuses questions sur son efficacité réelle et ses impacts à long terme. »
Quels sont les principaux résultats scientifiques sur le jeûne intermittent à ce jour?
« Au cours des cinq dernières années, de nombreuses études ont exploré les effets du jeûne intermittent sur la santé humaine. Ces résultats ont été consolidés dans des méta-analyses qui nous offrent un tableau assez clair. On va se le dire, la principale raison qui pousse les gens à essayer le jeûne intermittent est la perte de poids. Or, le jeûne intermittent entraîne une perte de poids modeste, en moyenne d’un kilogramme. De plus, cette perte est souvent davantage attribuée à une diminution de la masse maigre (masse musculaire, masse osseuse et perte d’eau) qu’à une perte significative de masse grasse. Certains bénéfices à court terme ont été observés sur la santé métabolique, notamment une amélioration des niveaux d’insuline, du cholestérol sanguin et une réduction de l’inflammation, mais ces effets ne surpassent généralement pas ceux obtenus avec une simple restriction calorique en continu. Le jeûne intermittent peut être une option intéressante pour certaines personnes, notamment celles qui ont des problèmes de santé métabolique comme le prédiabète, mais il doit être intégré dans une approche de santé globale et durable. »
Le jeûne intermittent pourrait-il vraiment prolonger la vie?
« C’est une question passionnante, mais la réponse est encore loin d’être tranchée. Chez des insectes comme les mouches à fruit et quelques modèles animaux, des études ont montré que le jeûne intermittent pouvait prolonger la durée de vie. Cependant, ces résultats varient selon les espèces et les conditions expérimentales, et des conséquences négatives, notamment sur le système immunitaire, sont observées. Par exemple, les souris de laboratoire, qui vivent dans des environnements très contrôlés, pourraient en tirer des bénéfices. En revanche, les souris sauvages, vivant dans des conditions plus réalistes, n’obtiennent pas les mêmes résultats. Cela illustre bien que les effets du jeûne intermittent dépendent fortement du contexte. Chez l’humain, nous manquons de données à long terme. Nous savons que le jeûne intermittent peut réduire certains biomarqueurs sanguins associés au vieillissement, mais il est difficile de dire si ces changements se traduisent par une augmentation réelle de l’espérance de vie et si les bénéfices de cette pratique sont supérieurs aux conséquences. »
Quels sont les risques ou limites du jeûne intermittent?
« Le jeûne intermittent n’est pas sans risques, et son application irréfléchie peut avoir des conséquences négatives. Motivées par des influenceurs ou “coachs” sur les réseaux sociaux, certaines personnes adoptent des formes de jeûne trop strictes ou prolongées sans encadrement. Cela peut entraîner des carences nutritionnelles, de la fatigue, des troubles digestifs et même une perte excessive de masse musculaire. Les promesses de bénéfices exceptionnels pour la santé et la longévité ne sont pas étayées par des preuves solides, ce qui peut entraîner une déception ou un abandon rapide. Le jeûne intermittent peut également exacerber les troubles du comportement alimentaire, en particulier chez les jeunes femmes. Les cycles de jeûne et de réalimentation peuvent nuire à la relation à la nourriture et affecter l’estime de soi. Si j’avais un conseil à donner aux personnes qui contemplent la pratique du jeûne intermittent, ce serait d’abord de prendre conscience que cela nécessite un engagement important et prolongé, mais aussi de travailler en étroite collaboration avec une nutritionniste membre de l’Ordre des diététistes-nutritionnistes du Québec afin de s’assurer d’entreprendre ce processus de façon sécuritaire et de se fixer des objectifs réalistes. »
Que pensez-vous de la commercialisation du jeûne intermittent?
« C’est un sujet à la fois fascinant et préoccupant. Je ne pensais pas que l’on pouvait faire du profit sur cette pratique, mais force est de constater que le jeûne est devenu un marché lucratif. Des applications, des programmes, des suppléments et même des “kits de jeûne” prétendent optimiser cette pratique, évidemment sans preuves scientifiques solides. Des célébrités et des influenceurs sur les réseaux sociaux font la promotion de ces produits, parfois avec des affirmations exagérées qui manquent de nuances. Ces produits sont chers et inutiles. »
Est-ce que la pratique du jeûne intermittent est compatible avec un mode de vie actif?
« Le jeûne intermittent peut, dans certains cas, être compatible avec un mode de vie actif, mais cela dépend de plusieurs facteurs, notamment des besoins individuels, du type d’activité pratiquée, et de l’approche adoptée. La principale considération est que l’activité physique exige un apport énergétique suffisant pour optimiser la performance, favoriser la récupération et prévenir les blessures. Dans la pratique, le jeûne intermittent peut poser des défis pour les personnes actives, en particulier si les fenêtres alimentaires ne correspondent pas aux moments de besoin énergétique élevé, comme avant ou après un entraînement. Par ailleurs, un apport calorique insuffisant peut conduire à une perte de masse musculaire, une diminution de l’énergie et une fatigue accrue, compromettant ainsi la capacité à maintenir un mode de vie actif. Pour les personnes actives, une alimentation équilibrée et bien répartie tout au long de la journée reste souvent une option plus adaptée pour soutenir leurs objectifs de santé et de performance tout en promouvant une relation saine avec la nourriture. »
Selon vous, quelle est la meilleure approche pour promouvoir la santé et la longévité?
« La science est claire : il n’existe pas de solution miracle. Pour promouvoir la santé et le bien-être, nous devrions nous concentrer sur des principes fondamentaux tels qu’une alimentation équilibrée. Cuisiner, manger des aliments variés et de qualité, sans exclure de groupes alimentaires, mettre de la couleur dans son assiette, partager des repas en famille ou entre amis, être à l’écoute de ses signaux de faim et de satiété figurent parmi les éléments clés d’une alimentation compatible avec une espérance de vie en santé physique… et psychologique! Deux autres facteurs souvent négligés, soit la gestion du stress et le sommeil, sont également à considérer. La pratique régulière d’activité physique demeure toutefois LE principal déterminant de l’espérance de vie en santé. »