La transmission des valeurs, des traditions et des idées est au cœur de la parentalité, dès la naissance de nos enfants, et même avant. Mélange harmonieux de nos apprentissages, de notre vécu et de nos souhaits, elle se fait souvent tout naturellement. Pourtant, en y réfléchissant, nous pouvons aborder avec plus d’intention ce que nous transmettrons à nos enfants. Lory Zephyr, psychologue, et Jessika Brazeau, journaliste, toutes deux fondatrices de Ça va maman, nous éclairent sur ce grand sujet.
Bonjour Lory, bonjour Jessika. Certaines personnes ont des enfants précisément car elles souhaitent leur transmettre des choses. On se voit par exemple faire du ski en famille, ou reproduire une recette de grand-maman. Ces souhaits peuvent devenir un moteur pour fonder une famille. Est-ce un piège, ou au contraire, un bon guide?
Lory Zephyr : « Pour se lancer dans l’aventure de la parentalité, il faut avoir un peu cet imaginaire-là. Ce n’est pas ça qui est « mal », de se projeter, mais la question est : si ce n’est pas ça qui arrive dans la réalité, est-ce que j’arrive à m’ajuster? Si j’avais imaginé qu’on serait une grande famille de skieurs, et que finalement, personne n’aime ça sauf moi, est-ce que je continue à forcer tout le monde à y aller, d’un hiver à l’autre, ou à un moment donné, j’accepte que notre passion commune, ce n’est peut-être pas le ski, mais la musique par exemple? Il faut faire le deuil d’un scénario que l’on aurait voulu pour s’ajuster à la réalité. On l’a essayé un moment, on a constaté que ça ne fonctionnait pas, et on passe à autre chose. »
En tant que parent, la comparaison avec nos propres parents est-elle inévitable?
Jessika Brazeau : « Je pense que oui! Ma famille, c’est la société que j’ai internalisée. Alors oui, je vais comparer avec ce que j’ai reçu, dans ce que je donne et dans ce que je ne donne pas. »
L. Z. : « Ceci dit, se comparer, ce n’est pas mal, et ce serait surtout impossible en tant qu’êtres humains de ne pas le faire. Il peut y avoir de la valeur dans la comparaison, mais il faut juste faire attention à la position dans laquelle cela me place. Est-ce que je me compare toujours pour me dire que je suis moins bonne? Ou meilleure? Se placer en infériorité ou en supériorité absolue par rapport aux autres ne nous aidera pas à devenir un meilleur parent. Il faut tirer des apprentissages nuancés de ces comparaisons. »
Et être un meilleur parent, ou une meilleure mère, pour son enfant et pour chacun de nos enfants. Chaque enfant a des besoins différents, on ne peut pas être la même mère pour tous!
L. Z. : « C’est le fondement même de la théorie de l’attachement. C’est de s’ajuster à l’enfant qu’on a devant soi, au-delà de l’enfant idéal qu’on aurait aimé avoir. Il peut y avoir des déceptions, même un deuil, lorsque l’on constate que notre enfant n’a pas les caractéristiques que nous aurions souhaité qu’il ait. Sauf qu’au bout du compte, c’est notre travail, en tant que parent, de s’habituer et de s’ajuster à notre enfant, à nos enfants. Si mon premier est calme, patient et doux, et le second est super actif, super moteur, je dois apprendre à m’ajuster à leurs besoins et à leurs désirs différents, sans les comparer entre eux. Ce serait facile d’avoir deux enfants pareils, mais souvent, ce n’est pas le cas. »
J. B. : « Je mets beaucoup les réactions de mes enfants sur ma faute. Pourtant, je suis la même mère pour tous mes enfants, et ils réagissent tous différemment à une même situation. Heureusement, Lory me rappelle toujours que chacun de mes enfants a sa propre personnalité, et que dans toute réaction, une part vient de moi, mais une part vient de lui aussi! »
Sommes-nous vraiment capables de nous éloigner, dans notre parentalité, de ce que l’on a moins aimé dans notre enfance?
J. B. : « Probablement, mais pour ça, il faut avoir fait le tri dans ce qu’on a vécu plus jeune. Lorsque je suis en réaction à une situation, ce qui sort en premier, c’est une répétition de ce que j’ai observé et vécu plus jeune. Il y a donc un gros travail de déconstruction à faire. »
L. Z. : « Je crois que la pression est aussi forte, que l’on veuille reproduire ou ne pas reproduire un comportement. Car s’il y a des gens qui ont vécu des choses très difficiles, des traumas, j’en entends aussi d’autres dire : “Moi, ma mère, elle était parfaite.” Et cette idée que sa propre mère était parfaite met les attentes très hautes quant à notre propre rôle de mère. Il faut prendre un pas de recul et admettre que “moi, je suis moi, et mon enfant est mon enfant”, et il faut trouver notre équilibre à nous. Je ne peux pas juste, sans me poser de question, vouloir reproduire ou pas des schémas, des habitudes, etc. Je ne suis pas mon parent, et mon enfant n’est pas qui j’étais enfant non plus. Cette position nous permet d’avoir plus de flexibilité pour trouver qui nous sommes comme parent. »
J. B. : « J’ai moi-même eu une dynamique particulière avec ma propre mère, et je craignais que certaines de ses réactions, que je redoute parfois, atteignent mes enfants de la même façon qu’elles m’atteignent moi. Mais celles-ci n’ont pas la même portée pour mes enfants que pour moi! J’essayais de les protéger, mais j’ai appris à voir les choses sous une autre perspective. »
Comment assurer une cohérence entre ce que l’on montre à nos enfants (nos comportements) et ce que l’on veut leur transmettre?
L. Z. : « Si je veux transmettre quelque chose à mon enfant et que j’en suis à l’opposé, la pression pour lui est grande, de devoir être quelque chose que je ne suis pas! Par contre, la vie, c’est aussi de tolérer les contradictions, les incohérences. Par exemple, si une fois, je manque de respect envers mon conjoint, mais que la grande majorité du temps, je suis respectueuse envers lui, cet évènement isolé n’empêchera pas mon enfant d’apprendre et d’incarner la valeur du respect. Nos enfants sont des êtres intelligents, et ils sont capables de faire la part des choses. »
J. B. : « C’est important de montrer la réconciliation aussi. Parfois, les enfants sont témoins des chicanes des parents, mais ne voient pas le moment où ils se réconcilient, plus tard dans la soirée. C’est aussi important de le montrer.
J’essaie aussi de plus en plus d’être en cohérence avec comment je me sens vraiment. Si je suis fâchée et que tout mon corps le crie, je ne le nie pas, même si mon premier instinct serait de dire à mes enfants que je ne suis pas fâchée. J’admets mon émotion, et j’explique pourquoi. »
Quelle est la meilleure façon d’aborder la question de la transmission avec le partenaire ou le co-parent?
L. Z. : « Quand il y a des désaccords sur les questions importantes, ça vaut la peine d’avoir plusieurs conversations jusqu’à trouver un compromis qui convient aux deux partis. Évidemment, plus la communication entre les deux parents est établie et sécurisante, plus ça risque d’être facile de s’entendre. Nous aurons toujours au moins en commun d’avoir à cœur le développement de nos enfants et de vouloir le meilleur pour eux. C’est une bonne base! »
J. B. : « Je suis séparée depuis peu, et au début de la séparation, j’étais très à cheval sur l’uniformité d’une maison à l’autre. Je voulais qu’on montre et qu’on offre les mêmes choses à nos enfants, qu’ils soient chez papa ou chez maman. Aujourd’hui, je me dis que les différences sont plutôt une richesse. Qu’en leur montrant plusieurs modèles, ils pourraient choisir en fonction de qui ils sont et de qui ils deviendront. »