Les auteurs sont des témoins précieux de leur époque et n’hésitent pas à bousculer l’ordre établi. Qu’ils le remettent en question de front ou l’observent de biais, ils repensent le monde dans lequel on vit, qui apparaît aujourd’hui fiévreux et troublé à maints égards, mais encore porteur d’espoirs.
– Par Nicolas Gendron, journaliste et critique de cinéma
Tout bouge autour de moi, de Dany Laferrière (Mémoire d’encrier, 2010)
Devant l’adversité et la Mort, il est possible de « voir surgir, sous une pluie de poussières, un peuple digne ». Le 12 janvier 2010, à 16 h 53, un séisme de magnitude 7 frappait Haïti en plein cœur. « Le béton est tombé. La fleur a survécu », raconte Dany Laferrière, qui s’y trouvait alors et n’a pu se résoudre à taire ce qu’il y a vu. Écrits en quelques jours à peine, ces carnets saisissent avec acuité l’essence combative d’un pays qui doit se reconstruire, certes, mais surtout pas en partant de zéro. Entre les mangues partagées et les mythes des siens, avec cette conviction que la culture incarne le rempart ultime, le célèbre écrivain affiche son style le plus dépouillé pour toucher à l’intimité d’une collectivité. Près de sept ans plus tard, il importe encore de donner un visage, pour ne pas dire une âme aux événements, comme l’humain ne cessera sans doute jamais de se relever…
Mon truc en plus, de Noël Lang et Rodrigo García (Steinkis, 2014)
Quelle délicate et charmante bande dessinée que celle-ci ! On y suit une joyeuse bande d’amis, Pablo en tête – Blo pour les initiés –, dans leurs pérégrinations au parc, à l’école ou… dans leur tête. Le monde de l’enfance y est dépeint dans toute sa vivacité, avec les lubies de Blo, qui ne jure que par Petula Clark ; la bonté de Bibi, sa « fiancée préférée » ; la cruauté ordinaire dont est victime Pierrot, en raison de ses kilos en trop ; l’anxiété de Benjamin, qui s’arrache les cheveux jusqu’au dernier ; et les rêves gomme balloune de Ruth, entre Hollywood et le Danny Zuko de Grease. Mais voilà, ce « truc en plus » qui les distingue n’est qu’un chromosome. Pas n’importe lequel, me direz-vous, puisqu’il vient s’ajouter à la 21e paire… La trisomie 21, chez Lang et García, n’est ni objet de curiosité ni malédiction, et l’enfant qui naît avec ce chromosome en trop doit composer, comme tous les autres, avec sa normalité et son unicité emmêlées. Rafraîchissant.
Le métier d’aider, de Michel Dorais (VLB Éditeur, 2015)
Sociologue, professeur et chercheur émérite, Michel Dorais a prouvé maintes fois son talent pour la vulgarisation et son souci de démocratisation des savoirs, entre autres par une trentaine d’ouvrages éclairants (La mémoire du désir, Ça arrive aussi aux garçons, Éloge de la diversité sexuelle, Mort ou fif). Son livre le plus récent est la somme de plus de 35 ans de carrière à réfléchir au contenu plus qu’au contenant d’une relation d’aide. Que vous soyez psy- (ajoutez-y la finale appropriée), éducatrice spécialisée, enseignant ou simplement interpellé par la résolution de problèmes, Le métier d’aider saura se déposer en vous, et pour le mieux. Dorais l’a pensé en 22 chapitres, enrichis de puissants cas vécus, ciselés avec une passion manifeste et coiffés de titres révélateurs (Le symptôme n’est pas le problème, Personne n’aime changer, etc.). S’en dégage un hymne subtil à la résilience et à la capacité d’agir de tout un chacun, dût-il faire le premier pas. Hautement pertinent.
Les libéraux n’aiment pas les femmes, d’Aurélie Lanctôt (Lux Éditeur, 2015)
Figure bien en vue d’une nouvelle génération de féministes pour le moins articulées, Aurélie Lanctôt signe ici un essai sur l’austérité qui devrait alimenter les débats arrosés de vos soupers de famille. L’auteure prend son titre au sérieux et démontre, statistiques et témoignages à l’appui, comment l’obsession du déficit zéro et les coupes du gouvernement Couillard viennent saper en tout premier lieu l’autonomie et la liberté des Québécoises, si chèrement gagnées dans la seconde moitié du 20e siècle. Rappelons au passage que les femmes composent plus de 75 % du personnel soignant du système de santé, du corps enseignant et du milieu communautaire, trois secteurs qui se voient imposer un régime minceur. Mais cette logique budgétaire aura beau se doter d’un masque de rigueur, elle n’en est pas moins austère, et Lanctôt le rappelle avec une éloquente simplicité. Pour remettre les pendules à l’heure des « vraies affaires » !
Demain : un nouveau monde en marche, de Cyril Dion (Actes Sud, 2016)
Prolongement naturel du (très bon) documentaire français Demain, coréalisé par l’actrice Mélanie Laurent et l’activiste écologiste Cyril Dion, ce livre raconte les coulisses du film, tourné dans une dizaine de pays, en même temps qu’il se propose d’approfondir les solutions explorées ça et là devant le constat sans équivoque de certaines études qui annoncent la mort partielle de l’humanité… d’ici 2100 ! En cinq volets étroitement liés que d’aucuns s’évertuent déjà à réinventer – l’agriculture, l’énergie, l’économie, la démocratie et l’éducation –, on est galvanisé par l’enthousiasme et le dynamisme d’humains de tous horizons qui se refusent à la fatalité, de la révolution islandaise des casseroles (tiens donc !) à l’assemblée des cinq sages d’un village indien, en passant par l’agriculture urbaine qui revitalise Détroit. Pour qui a soif de concret sans sacrifier le merveilleux.
Journaliste et critique de cinéma, entre autres pour le journal Voir et la revue Ciné-Bulles, Nicolas Gendron est avant tout comédien et directeur artistique de la compagnie théâtrale ExLibris. Aussi un grand lecteur, Nicolas a déjà co-adapté pour les planches le recueil de nouvelles Les perruches sont cuites, de Charles Bolduc (Leméac, 2006), en plus de signer l’adaptation et la mise en scène du spectacle Et au pire, on se mariera, d’après le roman de Sophie Bienvenu (Éditions La Mèche, 2011).
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