ACCOMPAGNEMENT ET BIENVEILLANCE — La littératie émotionnelle se définit comme l’habileté d’une personne à identifier, nommer et communiquer ses émotions. Si une personne développe cette facette de son intelligence émotionnelle, on la verra plus apte à mentaliser son vécu au lieu d’être dans la réactivité. Elle sera plus responsable d’elle-même, moins accusatrice envers autrui et aussi plus empathique.
UNE ÉMOTION ET SON BESOIN
Pour comprendre pourquoi et comment développer son intelligence émotionnelle, clarifions d’abord ce qu’est une émotion. Utilisons pour cela une métaphore qui fait appel à un vécu commun à tous : celle du ventre qui gargouille.
Personne ne s’étonne d’entendre un nouveau-né pleurer lorsqu’il a faim. Il ne nous viendrait pas à l’idée de lui répondre « Il n’y a pas de raison de pleurer, arrête ça tout de suite ! ». Une sensation désagréable envahit son petit corps, le dérange et il pleure. Le parent décode les pleurs et la situation, identifie le besoin du bébé, et s’apprête à le nourrir tout en le rassurant : « Oh ! Tu as faim ! Le lait s’en vient. » Grâce à ces précieuses interventions répétées de l’adulte, l’enfant apprend peu à peu à s’apaiser et à intégrer le lien entre le mal de ventre et la faim. Il apprend à tolérer l’attente de la satisfaction de son besoin, et ultimement, à le communiquer : « J’ai faim, je veux du lait. »
Une émotion, c’est comme ce ventre qui gargouille ! Une émotion est un signal envoyé par notre corps pour nous faire part d’un besoin, et nous pousser à agir pour le combler. Antoine pleure lorsque papa le laisse à la garderie ? Son cerveau détecte un besoin de sécurité non comblé et l’exhorte à trouver un contexte et une personne bienveillante pour le sécuriser.
LA RÉGULATION ÉMOTIONNELLE
Face à l’arrivée d’une émotion, il nous faut percevoir nos sensations physiques, identifier nos pensées, reconnaître l’émotion qui se manifeste, décoder le besoin sous-jacent, contrôler nos comportements pour nous exprimer de manière adéquate et trouver l’action qui nous permettra de répondre au besoin. Tout un contrat ! Même pour un adulte…
L’enfant aura donc besoin de longues années d’apprentissage et de pratique, avec l’aide bienveillante de son entourage qui l’accompagnera à travers la maturation de son cerveau, au départ bien incapable d’un tel exercice.
Ce processus est encore très complexe pour de nombreux adultes qui ne l’ont souvent pas acquis pendant l’enfance. Ils en font parfois l’apprentissage en même temps qu’ils essaient de le transmettre à leurs enfants.
Alors, voyons comment favoriser concrètement le remplacement d’une crise de bacon ponctuée de « tu es méchante, maman ! », en un plus mélodieux « je me sens fâché et frustré de ne pas obtenir ce jouet ».
À LA MAISON
Première astuce :
Valider les émotions que vit l’enfant.
- « J’entends que tu vis beaucoup de colère parce que je t’ai dit non. »
- « Je vois que ça te rend triste de ne pas nous accompagner en sortie ce soir » remplacera « On revient ce soir, tu vas bien t’amuser avec la gardienne, sois un grand garçon et arrête de pleurer. »
- « Tu as eu peur ! C’est vrai que ça surprend, quand un chien se met subitement à japper ! »
Deuxième astuce :
Montrer l’exemple !
Nommer nos émotions, en présentant nos propres moyens de régulation personnels, permet l’apprentissage par imitation.
- « Je suis irritée lorsque je dois répéter plusieurs fois la même consigne. Je vais essayer une autre stratégie pour t’adresser ma demande. »
- « Je suis tellement en colère que je risque de dire des choses que je ne pense pas ! J’ai besoin d’un moment de retrait pour aller respirer et me calmer. Je vais sur le balcon et je reviens après. »
Troisième astuce :
Enseigner le vocabulaire émotionnel.
Enrichir le vocabulaire autour des émotions nous permet d’apporter une nuance dans l’intensité de l’émotion vécue. En effet, il existe environ cinq émotions de base (six avec le dégoût), qui s’expriment différemment selon l’intensité de leur manifestation. Par exemple, sur le spectre de la colère, une contrariété est moins intense qu’une fureur. La peur se vit différemment lorsque l’on ressent une préoccupation ou de la terreur.
Quatrième astuce :
Pratiquer lorsque les émotions sont calmes.
On peut jouer à identifier les différentes émotions dans le quotidien, dans des situations relationnelles, ou à travers les émotions des personnages dans les jeux ou divers produits culturels. Il est aussi pertinent de sélectionner des films, livres, jeux ou dessins animés qui enseignent aux enfants les différentes émotions.
« Comment se sent ce personnage ? Est-il joyeux ?Comment le devines-tu ? Montre-moi comment tu es, toi, quand tu ressens de la joie ! »
Au-delà de toutes les astuces que vous pourrez lire et tenter d’appliquer, la clé afin d’avoir la disponibilité nécessaire pour vous intéresser au monde intérieur de votre enfant est de prendre soin de vos propres émotions. Il est essentiel de vous attarder à votre propre ressenti, de vous montrer indulgent envers vous-même dans ce processus et d’aller chercher du soutien si vous en ressentez le besoin.
DU POINT DE VUE SOCIÉTAL
En plus de ce qui peut être mis en place à la maison pour favoriser la littératie émotionnelle, la société a un rôle important à jouer dans cette éducation. Comme le dit l’adage, il faut un village pour élever un enfant.
Première astuce :
Exposer les enfants au matériel émotionnel.
Il s’agit d’augmenter l’accès à du matériel lié aux émotions dans tous les milieux de vie de l’enfant, que ce soit à la garderie, à l’école ou ailleurs dans la communauté.
- Apposer des affiches illustrant les émotions à l’aide d’images de style émojis, de personnages dessinés ou encore sur une roue graduée des émotions.
- Mettre à la disposition de l’enfant des jeux éducatifs liés aux émotions (comme La planète des émotions), des livres (comme Et le lapin m’a écouté), des films (comme Sens dessus dessous), etc.
Deuxième astuce :
Former et outiller les personnes qui interviennent auprès des enfants pour qu’elles valident et accueillent le vécu des enfants.
- La formulation « sois une grande fille, ne pleure pas » devrait être remplacée par « tu es triste que maman soit partie, elle reviendra te chercher après la sieste ».
- Lors d’un conflit entre enfants, focaliser sur comment l’autre se sent, favoriser une réflexion autour des émotions de chaque personne. Ainsi, « que s’est-il passé ? » deviendra « qu’est-ce qui a amené ton ami à se sentir triste ? ».
Troisième astuce :
Instaurer des programmes dans les institutions scolaires et services de garde, comme La météo intérieure, Dé-stresse et progresse, Roots of empathy.
En somme, plus on apprend aux enfants à comprendre ce qui se passe en eux, moins ils seront dans la réactivité et plus ils seront en mesure d’avoir des interactions respectueuses et être empathiques. Et en l’enseignant, les adultes en bénéficieront aussi !
LECTURES POUR EN APPRENDRE DAVANTAGE
- Parler pour que les enfants écoutent, écouter pour que les enfants parlent, de Adele Faber et Elaine Mazlish, aux Éditions du Phare ;
- Aux Éditions Marabout, les ouvrages d’Isabelle Filliozat, dont Au coeur des émotions de l’enfant, J’ai tout essayé ! Opposition, pleurs et crises de rage : traverser la période de 1 à 5 ans et Il me cherche ! Comprendre ce qui se passe dans le cerveau de votre enfant entre 6 et 11 ans ;
- Les cahiers Filliozat, destinés aux enfants, mais avec des pages guides pour les parents.