En 2018, une étude a mis en lumière le secret des vies longues et heureuses. Aucun des chercheurs de l’Université d’Harvard ayant contribué à cet ambitieux projet de recherche, suivant 774 hommes et leurs enfants durant 80 ans, n’avait anticipé la conclusion suivante : c’est la qualité des relations interpersonnelles qui rend les gens heureux à l’âge adulte.
Voilà, vous connaissez maintenant le secret pour révolutionner vos vies. Bonne chance! Si seulement c’était aussi simple…
Les amitiés sont centrales à notre survie et à notre identité. Les données probantes soulignant les impacts des relations saines et profondes sur la santé personnelle (physique, mentale et spirituelle) ainsi que sur la santé démocratique et sociétale sont nombreuses. Avoir des amitiés nourrissantes et significatives peut diminuer les risques de cancers, de maladies cardiovasculaires et de maladies inflammatoires, améliorer le fonctionnement cognitif et la santé mentale et accroître la propension au bonheur.
Mais les amitiés sont des pissenlits : elles ont la même résilience que ces fleurs jaunes qui poussent dans l’asphalte et elles partagent aussi, malheureusement, le même statut de mal-aimée, tout en étant pourtant essentielles à l’écosystème de nos vies.
La solitude est une catastrophe non naturelle
Créer et entretenir des amitiés de qualité à l’âge adulte est universellement difficile. Les personnes qui nous entourent demeurent trop souvent de possibles histoires, comme une pile infinie de livres à lire sur notre table de chevet. De nombreuses personnes se disent insatisfaites de la façon dont leurs amitiés se déploient dans leur vie. Nous ne nous demandons même plus pourquoi il en est ainsi.
« C’est comme ça quand nous vieillissons, nous avons moins de temps pour nos amis. C’est une tragédie qui manque d’originalité, une fatalité accablante que nous subissons sans nous défendre », ai-je écrit en introduction d’un essai portant sur la question, Ports d’attache : osons révolutionner nos amitiés!
Lorsque nous réalisons que nous arrivons bientôt à la fin du sentier de la vie, nous commençons à prioriser avec un sentiment d’urgence les expériences qui rendent la marche plus lumineuse et épanouissante. Ce phénomène est étudié et a même un nom : la théorie de la sélectivité socioémotionnelle. En tête de liste des choses goûtant le bonheur se trouvent les moments partagés entre amis. Nous arrivons donc à ce qui est signifiant essoufflés par une course contre la trotteuse qui a duré des dizaines d’années, après une vie à remettre nos amitiés à plus tard, alors que, pourtant, nous ne nous sommes jamais sentis aussi seuls collectivement.
Effectivement, nous traversons ce que de nombreux experts et expertes qualifient de pandémie de solitude. Une personne sur cinq n’a personne à qui parler et, depuis 1990, le nombre d’Américains n’ayant pas un seul ami a quadruplé.
Est-ce que les amitiés épanouissantes, comme nous vivons à l’enfance et à l’adolescence, sont un one-hit wonder?
La plus belle saison de notre vie
La science se concentrant sur l’amitié n’explore pas le sujet chez les adultes, tenant pour acquis que la recherche d’un ou d’une partenaire pour une relation amoureuse prend toute la place lors de cette transition.
La culture populaire se colle également à ce modèle. Par exemple, dans le documentaire réunissant 20 ans plus tard les acteurs et actrices de la populaire sitcom Friends1, l’une des productrices raconte que l’émission a eu autant de succès, car elle aborde cette période particulière de nos vies où l’amitié prend toute la place. Comme si ce moment n’était qu’éphémère, une parenthèse en attendant « la vraie affaire. » En effet, la sitcom se termine après 10 saisons et montre deux des protagonistes qui déménagent, avec leurs nouveau-nés, loin de leurs amis, annonçant que le quotidien ne sera plus jamais comme avant2.
Même l’un des rituels les plus populaires au sein des groupes d’amis marque, en fait, la fin de la saison de l’amitié : les enterrements de vie de jeune fille et les enterrements de vie de garçon.
Il est donc juste d’affirmer que la place de l’amitié est dans l’équipe de réserve de nos vies. Elle entre en jeu lorsque les autres relations s’essoufflent. Cette hiérarchisation des relations se nomme la mononormativité, soit le fait de considérer les relations amoureuses exclusives comme étant supérieures aux autres, les positionnant ainsi comme le but ultime à atteindre.
La psychologue Bella DePaulo déconstruit cette norme socioculturelle bien établie dans Singled out: How singles are stereotyped, stigmatized, and ignored, and still live happily ever after3 en démontrant que les amitiés sont d’importants espaces d’intimité, d’épanouissement et de soutien. Effectivement, si nous nous penchons sur ce qui définit une relation amoureuse — soit l’engagement émotionnel, l’intensité des attentes et le partage de projets — nous réalisons que cela pourrait tout aussi bien décrire une relation d’amitié.
Pourquoi, malgré la très forte demande sur le marché, l’amitié demeure-t-elle sous-évaluée? Que perdons-nous à faire du couple la relation la plus centrale dans notre vie? Si on élargissait nos conceptions de l’intimité et du prendre soin en présentant l’amitié comme une option valide et intéressante pour vivre une vie d’amour et de plénitude, les bénéfices sociaux seraient considérables. Les amis pourraient s’acheter des maisons ensemble, avoir des enfants ensemble, vieillir ensemble. Ils pourraient partager le quotidien et des projets en ne cherchant pas constamment ailleurs si l’amour est plus grand et significatif.
Le pissenlit survit à tous les défis. Nous le considérons comme une mauvaise herbe parce qu’il envahit rapidement nos jardins, les espaces verts et les champs. Et si nous le laissions faire son œuvre naturelle? Et si nous pollinisions l’amitié pour laisser le bonheur s’étendre sur des horizons? L’amitié pourrait devenir la saison de nos plus belles floraisons.
L’autrice de cet article a écrit le livre Ports d’attache : osons révolutionner nos amitiés! publié en février 2024 et disponible dans toutes les librairies. Toutes les informations présentées dans cet article sont tirées de cet ouvrage.
SOURCES
1. Norman, R. et Winston, B. (réalisateurs). (2021). Friends: The Reunion [émission spéciale]. HBO Max.
2. Hamelin, M., Doyle Péan, L., Peyrouse, A., Mackay, M., Corbeil, R., Nepveu-Villeneuve, M., Jacob, C., Alarie, V., Souissi, T., Gravelle, J., Michaud, M., Landry, M., Nyrva Aladin, F., Provencher, M. et Younsi, O. (2023). 15 brefs essais sur l’amour. Éditions Somme Toute.
3. DePaulo, B. (2006). Singled out: How singles are stereotyped, stigmatized, and ignored, and still live happily ever after. St Martin’s Press.