On pourrait facilement penser qu’éteindre son ordinateur et ne plus se faire contacter par son employeur après 17 h va de soi. Cependant, en 2016, la France était le premier pays à intégrer dans sa loi le droit à la déconnexion, autorisant les salariés à ne pas être joignables en dehors des heures de travail1. Qu’on en arrive à la législation peut paraître extrême, mais cela traduit plutôt le fait qu’il est de plus en plus attendu que nous soyons constamment disponibles ou, autrement dit, constamment prêts à être distraits ou dérangés.
Cette attente, progressivement devenue commune, n’est pas confinée au milieu du travail. Elle a même fait son chemin jusque dans nos vies personnelles, où nous nous imposons d’être continuellement connectés. Il m’est presque impossible de m’asseoir pour lire sans toujours surprendre ma main ten- due vers mon téléphone. Lorsque je souhaite avoir l’esprit concentré à la tâche, la seule solution est de laisser tous les appareils numériques dans une autre pièce. Et, même lorsque je le fais, j’avoue que je finis parfois par me lever sans m’en rendre compte, pour aller vérifier quelque chose d’aussi banal que le signe astrologique de l’auteur du livre que je suis en train de lire… Et je ne serais pas la seule : en 2018, 45 % des Canadiens affirmaient vérifier leur téléphone intelligent toutes les 30 minutes, au moins2. Il ne serait pas surprenant que ce chiffre ait grimpé dans les dernières années, en raison notamment de la virtualisation du travail. Les dispositifs technologiques et leurs plate- formes sont conçus pour monopoliser notre attention. Avec le temps, on finit par en devenir vaguement complice. Il est beaucoup plus facile de choisir la distraction que d’affronter ce qui se passe autour de nous. L’ailleurs est au bout de nos doigts, et les excuses pour s’y rendre sont infinies.
Bien que les motivations derrière le désir de vivre une retraite de bien-être puissent être multiples, c’est peut-être cette omniprésence du divertissement et notre difficulté à nous en détacher qui expliquent une partie de l’engouement grandissant envers le concept. Notre besoin viscéral de nous mettre en retrait, à l’abri des notifications et des likes, a redéfini tout un pan de l’industrie du tourisme. Ce besoin traduit notre soif pour des contextes qui nous autorisent à nous absenter, et peut-être aussi la nécessité d’être dans la contrainte afin de revenir au moment présent. Parmi les bienfaits de prendre ce moment pour soi, nommons le retour au calme, la diminution du stress, ainsi que la possibilité de se recueillir et de réfléchir à certains aspects de sa vie afin d’acquérir de nouvelles perspectives ou de trouver des solutions aux problèmes qui nous inquiètent2.
Même si les retraites sont de plus en plus variées et spécialisées — on peut notamment se planifier un séjour de yoga avec des chèvres sur une ferme en Oregon — il n’est pas toujours nécessaire d’investir des som- mes extraordinaires ou même de quitter sa région pour arriver à profiter d’un moment de calme et de ressourcement. Que ce soit pour un week-end, une journée ou quelques heures seulement, seul ou accompagné, voici quelques principes à considérer pour concevoir votre propre retraite de déconnexion « maison».
1 — L’endroit
Pour certains, la nature est le refuge parfait pour se ressourcer, se reconnecter avec son environnement et se détendre. Pour d’autres, il est au contraire plutôt favorable d’apprendre à se recentrer en demeurant dans l’agitation du quotidien et les lieux familiers.
S’il est vrai qu’il peut être bénéfique d’apprendre à être bien dans une multitude de situations en se contentant de peu, l’important est de vous demander ce dont votre corps a réellement besoin lorsque vous commencerez votre retraite. La dimension apaisante du silence, qui facilite le recueillement et la contemplation, ou le dynamisme d’un environnement citadin ? L’anonymat de la forêt ou le réconfort de votre salon ?
2 — l’horaire
Pour un moment de déconnexion réussi, il est selon moi important de s’en remettre à un horaire planifié, tout en demeurant flexible. Prévoir permet d’éviter certains risques associés à la prise de décision et les automatismes, comme celui de tendre constamment vers son téléphone.
Il y a quelque chose d’apaisant au fait de s’abandonner, de se sentir guidé par un certain programme. Cela permet à l’esprit de s’adonner à autre chose que la planification de ce qui va se passer ensuite. C’est là qu’on arrive à changer des habitudes, ou à se concentrer sur ce qui est réellement essentiel : son bien-être.
Cet horaire peut être fait par vous-même, ou encore par un être cher qui vous connaît bien. Il peut être ponctué de moments de détente, d’activités sportives douces comme le yoga, de lecture, de cuisine ou de tout autre passe-temps qui vous fait du bien. L’essentiel est qu’il vous garde loin des sources de distraction et de ce qui ne vous tient pas vraiment à cœur.
3 — L’intention
Finalement, l’élément le plus important, mais peut-être le plus facile à manquer ou à oublier : l’intention. Que souhaitez-vous retirer de votre retraite ?
Cela peut être aussi vaste et abstrait que la clarté d’esprit, ou aussi précis que trouver une solution à un enjeu spécifique auquel vous faites face. L’intention est l’endroit où vous retournerez lorsque vous vous ennuierez ou lorsque vous vous sentirez moins motivé. C’est le point d’ancrage qui vous guide dans votre périple. C’est la raison qui vous pousse à vouloir revenir dans le réel.
Sources
1 Hari, J. (2022). Stolen Focus: Why You Can’t Pay Attention – and How to Think Deeply Again. Crown.
2 Statistique Canada. Tableau 22-10-0115-01 Utilisation de téléphones intelligents et habitudes liées à leur utilisation, selon le groupe d’âge et le genre, inactif DOI : https://doi. org/10.25318/2210011501-fra
3 Ouellette, P. & Carette, D. R. (2006). Les pourquoi d’une retraite à l’Abbaye Saint-Benoît-du-Lac. Reflets, 12(1), 144–166. https://doi.org/10.7202/013442ar