Ayant remporté de nombreux prix d’appréciation au cours de sa carrière, Guylaine Tremblay est l’une des comédiennes préférées des Québécois. Après près de 40 ans de métier, elle passe de la performance au plaisir partagé, offrant ainsi un nouveau sens à l’émotion. Ayant vu ses relations avec son entourage évoluer au fil du temps, ses mots témoignent de la richesse de ses liens, et de l’importance de se livrer pour mieux accueillir l’autre.
Bonjour Guylaine. On s’imagine que les artistes, de par la nature de leur métier, doivent faire beaucoup de rencontres passagères au cours de leur vie. Comment faites-vous pour rester authentique, empathique et ouverte à l’autre dans ce contexte ?
« Nous pratiquons un métier de l’éphémère. Il y a des gens que l’on aime beaucoup et avec qui on a des atomes crochus, mais qu’on ne reverra pas vraiment, faute de projets en commun. Par contre, chaque fois que je revois quelqu’un avec qui j’ai travaillé dans le passé, c’est comme si nous ne nous étions jamais perdus de vue. Le courant passe toujours aussi bien. Je crois que c’est parce qu’il s’agit de liens profonds et précieux, surtout ceux issus de projets qui ont duré longtemps. On vit de grandes émotions, on joue des scènes d’intimité, on passe beaucoup de temps ensemble… C’est ce qui fait que des liens se créent, qu’on développe une compréhension de l’autre, de son univers. »
Justement, les artistes du Québec semblent constituer un petit milieu tissé serré. Quels sont les avantages et les inconvénients de faire partie de ce genre d’écosystème ?
« Je ne me suis jamais sentie seule avec mes problèmes ou mes doutes face à la profession, car je savais qu’ils étaient partagés, compris; on est tous un peu dans le même bateau, donc on s’entraide. On pense souvent, à tort, que c’est un milieu très compétitif, mais moi je ne le vois pas comme ça. C’est certain qu’on ne peut pas tou- jours être choisi pour chaque rôle, il y a des auditions et on n’obtient pas nécessairement ce que l’on veut, mais selon moi, on forme quand même une belle et grande famille. L’envers de la médaille, c’est que lorsque j’ai besoin de silence, de me retrouver dans autre chose, sans parler du travail ni de tout ce qui vient avec, c’est plus difficile. C’est un réel besoin, de sortir de cette bulle-là de temps en temps, et c’est pourquoi je crois qu’il est primordial d’avoir une vie personnelle bien protégée. D’ailleurs, mon amoureux me faisait remarquer que j’ai un bon mécanisme de protection, car quand j’ai besoin d’être seule, je ne vois pas les gens. Je ne les ignore pas volontairement, mais je suis capable de simplement prendre du temps pour moi, et je suis bien. »
Vous avez, tout au long de votre existence, occupé plusieurs rôles, tant à l’écran que dans la vie. Dernièrement, on vous en a offert un très important : celui de devenir grand-maman. Qu’est-ce que ça a changé pour vous ?
« J’avais été prévenue que ça allait être une grande histoire d’amour, mais rien ne pouvait me préparer au bouleversement que cette petite vie allait apporter dans la mienne.
Quand on devient grand-parent, on est souvent à plus de la moitié de notre vie. On a eu l’occasion de se rendre compte à plus d’une reprise de la fragilité de la vie, et tout à coup, on a un nouvel humain à protéger, à rendre heureux. On veut lui offrir de la joie, du bonheur et de la fantaisie. Je n’ai pas les mêmes responsabilités que dans mon rôle de maman. J’ai juste le goût de lui enseigner l’émerveillement, de redonner à ma petite-fille la fascination qu’elle me procure. »
Est-ce que votre relation avec votre fille, qui est devenue maman récemment, a changé ?
« Voir sa fille devenir mère, c’est la voir se trans- former sous ses yeux. Tu aperçois clairement ce que tu devinais avant : toute sa force et son courage. J’ai guidé ma fille et elle guidera la sienne à son tour. Ma fille ne sera plus jamais juste ma fille : elle est devenue la mère de quelqu’un. »
Est-ce que la famille a toujours été une priorité malgré votre emploi du temps chargé et vos nombreux engagements ?
« Je suis moins occupée que ce que les gens croient. À mon plus grand étonnement, j’ai beaucoup de temps pour moi. Souvent, je travaille énormément pendant une période, et ensuite, j’ai des semaines, voire des mois d’accalmie. Je peux donc vraiment passer des moments de qualité avec ma famille, et ça, depuis que je suis jeune. J’ai même été maman à la maison à une époque, j’avais le temps de cuisiner, de jouer avec mes enfants. Et quand je redevenais plus occupée, on s’adaptait. Je me sens privilégiée de pouvoir et d’avoir pu être là pour ma famille. »
Au Strøm, on s’intéresse beaucoup à la quête de l’équilibre et aux façons de danser avec le déséquilibre parfois. Qu’est-ce qui contribue à votre équilibre ?
« Je reviens toujours à la notion d’authenticité. Je pense que l’on se trouve en équilibre quand on est en accord avec ce que l’on sent et ce que l’on est. Pour moi, l’équilibre, c’est d’être capable d’exprimer et de ne pas accumuler les tensions, peu importe leur forme, qui mèneraient au déséquilibre. Quand on accumule des choses, ça devient lourd. Le principe d’une balance, c’est de ne pas tout garder d’un côté. »
Dernièrement, notamment avec votre dernier spectacle, J’sais pas comment j’sais pas pourquoi, vous dites vouloir axer vos activités professionnelles davantage vers le partage qui vient du cœur que vers la performance. Pourquoi est-ce important pour vous de faire ça à ce moment-ci de votre carrière ?
« Ça fait plus de 39 ans que je travaille, et la performance et le désir de prouver que j’ai ma place font partie du passé. J’arrive à un âge où je me regarde avec affection et douceur, même quand je fais des erreurs ou que je repense à celles que j’ai commises autrefois. Ce qui me reste, c’est de faire ce que j’aime et de me faire plaisir.
Le spectacle a muri dans mon esprit pendant dix ans. Je travaillais sur d’autres projets et je n’avais pas le temps de me pencher sur celui-là. Il représente tout ce que j’adore dans la vie : jouer, chanter, me raconter. J’y livre des moments charnières de mon parcours, et j’appuie mon propos avec l’œuvre d’Yvon Deschamps. J’ai bien fait de suivre mon instinct; j’avais besoin de faire ce spectacle pour me rendre heureuse et, par le fait même, rendre les autres heureux. »
Vous êtes très appréciée du public, ayant souvent été nommée « personnalité féminine de l’année» dans divers galas au Québec. Ressentez-vous une certaine pression de devoir être à la hauteur de l’image que les gens se font de vous ?
« La seule pression que j’ai, c’est celle d’être authentique, et c’est une pression que je m’inflige moi-même. Je ne sens pas que je dois incarner un personnage, puisque je n’en suis pas un. Je n’ai jamais agi en fonction de ce que les gens pouvaient penser de moi, et je crois que ça m’a servie, car le public le devine, et sait qu’il n’y a pas de distance entre lui et moi. L’authenticité attire une forme de respect. »