L’IMPORTANCE DE LA RECONNAISSANCE — Animatrice, chroniqueuse culturelle, rédactrice et autrice, Valérie Roberts s’est fait connaître du grand public en 2007. Depuis 2015, elle forme un couple avec le chef cuisinier Martin Juneau. Elle est la belle-maman de ses deux enfants, et aujourd’hui nouvellement maman d’une petite fille, Lucie.
Dans les dernières années, Valérie est peu à peu devenue un modèle et une voix pour les beaux-parents au Québec. En 2020, son livre La blonde de papa faisait sa sortie en librairie, apportant reconnaissance et apaisement aux beaux-parents. En mai 2021, avec l’appui du ministre de la famille, Mathieu Lacombe, Valérie instaurait la Journée nationale des beaux-parents afin de célébrer ceux qui jouent souvent un rôle fondamental auprès des enfants. C’est avec authenticité et bienveillance qu’elle nous explique son parcours et sa mission.
Pourquoi avoir décidé de créer une journée de toutes pièces plutôt que d’amalgamer la célébration à celles déjà existantes de la fête des Mères et de la fête des Pères ?
« Cette idée de Journée nationale des beaux-parents est née dans mon esprit quand j’ai commencé à passer du temps avec mes belles-filles, il y a six ans. Quand je les ai rencontrées, Simone et Léonie avaient 5 et 2 ans. Elles étaient jeunes, mais très tôt, nous avons eu des discussions sur la place que je prenais par rapport à leur maman. Au début, quand on croisait des gens dans la rue et qu’ils me complimentaient sur « mes filles », Simone et Léonie répondaient automatiquement « ce n’est pas notre mère, ce n’est pas notre mère ! » Mais plus le temps passait, et moins elles ressentaient le besoin de le dire.
Tout le monde le sait, de toute façon, que je ne suis pas leur mère. En tout cas, nous, dans notre famille, on le sait très bien ! Les filles associent plutôt mon rôle à celui d’une deuxième mère, mais le terme « maman » ne me revient pas à moi. J’avais donc l’impression que chaque fois que les filles, à la fête des Mères, soulignaient ma présence dans leur vie, elles sentaient qu’elles trahissaient un peu leur maman, ce qui est tout à fait normal.
Il me paraissait donc plus simple pour les enfants de créer une autre journée complètement, pour éviter les conflits de loyauté et les malaises. Je trouvais ça ridicule et aberrant, considérant qu’il existe une Journée mondiale du Nutella et de la procrastination, qu’il n’y en ait pas pour des personnes, hommes et femmes, qui s’impliquent corps et âme dans une relation où l’enfant n’est pas le leur, mais qui le traitent comme tel. »
Avec la sortie de votre livre, les gens ont trouvé un point de repère…
« Oui, parce que c’est une situation qui est compliquée. Du jour au lendemain, il faut trouver sa place en tant qu’être humain auprès de son amoureux, mais aussi de ses enfants, et de l’ex-conjoint/conjointe, qui est l’autre parent des enfants. Plein de questions émergent en même temps : serai-je bien accepté(e) par tous les membres de la famille ? Est-ce que je pourrai faire de la discipline auprès des enfants, est-ce que je veux leur transmettre des valeurs ? C’est un grand défi, car tout ça dépend du parent avec qui tu es en couple, mais aussi de celui avec qui tu ne l’es pas. Même s’il n’est pas dans ta relation amoureuse et dans ta famille, il fait quand même partie du cercle de cette famille recomposée.
Bref, tout ça est très complexe, donc quand en plus personne n’en parle et qu’il est difficile de trouver des ressources ou des livres sur le sujet, c’est normal de se sentir seul(e) ! »
Les filles associent plutôt mon rôle à celui d’une deuxième mère, mais le terme « maman » ne me revient pas à moi.
Justement, l’implantation de certaines infra-structures pour apporter du soutien aux beaux-parents serait-elle nécessaire, à votre avis ?
« La belle-parentalité touche un grand nombre de familles au Québec, mais on aime mieux faire comme si ça n’existait pas tant que ça, c’est un peu tabou.Il y en a plusieurs, des choses qui sont en place, sauf qu’on ne les connaît pas, et même quand on fait des recherches, on ne les trouve pas facilement. J’ai notamment découvert dans les dernières années le Réseau pour un Québec Famille, et la Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec(FAFMRQ). Par contre, ce n’est pas tout le monde qui a le goût de consulter une association pour s’améliorer dans son rôle de beau-parent. C’est un investissement en temps qui peut faire peur à certains. Aller à la librairie et acheter un livre, par exemple, c’est bien moins engageant.
Des ressources pour les jeunes mamans et celles qui s’apprêtent à vivre la maternité, il en existe une panoplie. Mais pas pour les beaux-parents. Même le mot « belle-parentalité » n’existe pas. On a « coparentalité », »homoparentalité »… la majorité des parentalités ont un mot pour se définir, mais pas « belle-parentalité ».
C’est pour ça que je travaille avec l’Office québécois de la langue française pour le faire ajouter, et que je leur ai demandé qu’on se questionne aussi sur les termes « belle-parentalité », « beau-parent », « belle-mère », »beau-père ». Parce que quand j’ai créé la journée, des gens m’écrivaient pour me dire « moi, mon gendre, je l’adore » ! Mais non, on ne parle pas de ça ! Ce n’est pas normal qu’il n’existe pas de mot spécifique.En anglais, on a step-father et step-mother, et father-in-law et mother-in-law. En espagnol aussi, il y a des termes différents, dans beaucoup de langues à travers le monde finalement, mais pas en français. »
Pourquoi, selon vous, parle-t-on très peu de cette réalité ?
« On aspire encore beaucoup à vivre une relation amoureuse qui ne se terminera pas, à maintenir sa famille unie, donc c’est difficile d’admettre qu’il y a eu « explosion » au sein d’une famille. Je crois par ailleurs que les conflits qui peuvent exister entre un beau-père et un père, et entre une belle-mère et une mère, nourrissent le tabou.
Je me suis d’ailleurs déjà questionnée publiquement à savoir si les beaux-parents devraient avoir des droits par rapport aux enfants. Je me rappelle avoir reçu beaucoup de commentaires outrés et surpris de la part de parents. Comme si la belle-parentalité enlevait quelque chose aux parents biologiques, alors qu’ils resteront toujours les parents de l’enfant. Et même : on dit tout le temps qu’il faut un village pour élever un enfant, mais mon Dieu qu’on ne veut pas que ce soit un beau-parent ! Pourquoi ?
Moi, j’en ai eu des belles-mères dans ma vie : mes parents se sont séparés quand j’avais six ans. Est-ce que j’ai eu des affinités avec certaines, y a-t-il des femmes que j’ai gardées dans ma vie ? Oui, évidemment. Mais est-ce qu’elles ont remplacé ma mère ? Jamais de la vie. Ma mère, c’est ma mère. »
Comment faire pour préserver le bien-être des enfants lors de la création d’une famille recomposée, qui est une étape bouleversante pour tout le monde ?
« Je ne pense pas qu’il y ait de secret. Il faut juste se rappeler qu’ils sont au centre de la famille, que ce sont eux qui sont trimballés d’une maison à l’autre, et que toi, en tant que beau-parent, tu arrives dans leur quotidien, mais ils ne t’ont pas choisi(e) ! C’est de réussir à faire partie de leur vie sans trop les chambouler, être à l’écoute de leurs besoins, de ce qu’ils vont t’exprimer. Les enfants sont tellement intelligents et comprennent beaucoup plus que l’on pense. Nous, c’est quelque chose qu’on a établi dès le début, ce souhait de discuter ouvertement avec les filles. « Quand quelqu’un dans la rue te dit que tu es ma fille et que tu es belle, qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce que ça te fait de la peine, est-ce que ça te dérange ? Préfères-tu que l’on réponde que je ne suis pas ta mère et que l’on rectifie le tir ? Ou bien, toi et moi, on sait très bien que tu n’es pas ma fille et que je ne suis pas ta mère, et au contraire, on s’amuse avec ça et on blague ? » Les enfants n’ont pas demandé la séparation de leurs parents ni l’arrivée d’un autre adulte dans leur maison, donc il faut essayer de rendre la transition la plus facile possible. »
Pensez-vous que d’avoir soi-même eu des parents séparés aide à être un meilleur beau-parent ?
« Il y a des modèles de belles-mères que j’ai eus et que je ne veux pas reproduire, et d’autres dont je voudrais m’inspirer. La belle-mère que j’ai depuis les 21 dernières années est une femme extraordinaire qui n’a jamais eu d’enfant, et qui a toujours considéré que, ma soeur et moi, on était les siens. Et ce n’était rien contre notre mère, au contraire : c’était tout pour nous. Mon père habite aux États-Unis, donc quand on allait chez eux, c’était nous. C’était « our girls« . Donc lorsque j’ai rencontré les filles de Martin, je leur ai demandé si elles étaient à l’aise que je dise « mes filles » et « les miennes » quand je parle d’elles. Parce que moi, j’ai toujours trouvé ça flatteur, que ma belle-mère dise que je suis sa fille. Ça veut dire qu’elle est fière de moi et qu’elle m’aime.
Je pense que si l’on parlait plus des familles recomposées, et qu’on voyait plus de modèles dans les médias, ça pourrait être inspirant. C’est juste important d’en voir davantage, tout simplement. »