Du calme d’un village après une tempête de neige au mutisme étouffant d’un secret, le silence peut être angoissant ou apaisant. Au bord de la mer, on l’apprécie volontiers, mais dans une maison à l’orée d’une forêt sombre, on l’appréhende. Dans les cinq livres suggérés, le silence exerce une pression sur les protagonistes en forçant une introspection, ou en les confrontant à leurs démons intérieurs que le chaos du quotidien camoufle.
Le poids de la neige
de Christian Guay-Poliquin (La Peuplade, 2016)
Une panne d’électricité paralyse le village alors que le narrateur, dont le nom demeure inconnu, vient de subir un grave accident de voiture. On plonge dans un huis clos psychologique où sa convalescence est assurée par un vieil inconnu : « Il se penche, se relève, et pivote sur lui-même comme si son âge n’était qu’un déguisement.» Lauréat du Prix du Gouverneur général 2017, l’auteur nous saisit par ses observations précises et captivantes. Dans l’urgence de la situation, les gestes banals du quotidien deviennent des actes de survie; entretien du feu, préparation du café, changements de pansements. On regarde les jours défiler par la fenêtre de la maison de laquelle le narrateur est prisonnier ; les variations de luminosité, la neige qui s’accumule, les sapins qui percent l’horizon maculé. Guettant une possible visite impromptue de Joseph, ou mieux, de Maria. Un roman contemplatif, campé dans la brutalité de l’hiver nordique. Les deux hommes tiendront-ils le coup jusqu’au printemps?
Quelques solitudes
de Marianne Brisebois (Hurtubise, 2022)
Le deuxième roman de Marianne Brisebois aborde le deuil d’une longue relation amou- reuse. Du jour au lendemain, plus de nouvelles de ses amis, qui semblent avoir choisi leur camp. Lili se retrouve seule dans sa chambre d’enfance, avec un budget limité pour rebâtir sa vie. Elle décide de répondre à une annonce Kijiji et d’emménager dans une grande mai- son sur l’île Verte, étonnamment abordable. Cette mise à l’écart, bien que douloureuse, lui permet de construire sa propre identité, de remettre en question les choix qu’elle a faits à l’adolescence, et de s’ouvrir à de nouvelles réalités. Il en va de même pour son étrange colocataire, dont la quête devient rapidement aussi captivante que celle de la protagoniste. Les retours dans le temps permettent de déployer deux intrigues en parallèle et d’approfondir des personnages attachants.
À la maison
de Myriam Vincent (Poètes de brousse, 2022)
Jessica et son conjoint attendent leur premier enfant et cherchent pour cette raison à emménager dans plus grand. Contraint par la crise immobilière et la pandémie, le couple achète une maison à l’architecture étrange en banlieue de Montréal, loin de leurs amis. En arrêt préventif, la narratrice se retrouve seule entre les murs blancs de leur nouvelle demeure, que bizarrement aucune peinture n’arrive à recouvrir. La solitude de sa grossesse, qui ne ressemble en rien à ce qu’Instagram lui avait promis, laisse toute la place à des phénomènes angoissants. Les portes claquent, les vitres semblent impossibles à nettoyer, les robinets s’ouvrent comme dans les films d’horreur. La maison lui joue-t-elle des tours ? Ou pire, lui veut-elle du mal ? Avec sa plume juste, Myriam Vincent aborde la santé mentale des jeunes mères et le système qui banalise leur expérience. Un roman confrontant qui nous tient en haleine jusqu’à la fin.
Femme de Vitruve
de Sara Lazzaroni (Leméac, 2023)
Simone et Nora ne se connaissent pas, mais gagnent toutes les deux leur vie en mettant leurs charmes au service du placement de produits. Elles fréquentent des lieux publics et des évènements mondains dans le but d’inciter à la consommation. Leurs patrons exercent un contrôle excessif sur leur poids, la couleur de leurs cheveux, leurs passe-temps. Elles doivent constamment représenter la femme idéalisée, source de désir et d’envie. Impossible de révéler la nature de leur travail à qui que ce soit, elles vivent avec le fardeau de leurs secrets sans pouvoir se confier. Le roman à deux voix aborde la solitude qui grandit derrière l’apparente perfection, lorsque la mise en scène se termine. L’écriture de Sara Lazzaroni s’en tient à l’essentiel et cultive les non-dits, en contraste avec les artifices présents dans le récit.
Paul à la maison
de Michel Rabagliati (La Pastèque, 2019)
Le neuvième tome de la série, récompensée deux fois au Festival international de la Bande Dessinée d’Angoulême, est plus sombre que les précédents, même si l’on sourit quelques fois. Paul se retrouve seul dans sa maison d’Ahuntsic dessinée avec exactitude, jusqu’à l’emplacement des arbres et des haies de cèdres. Son jardin se détériore au même rythme que sa vie, désertée par les gens qu’il aime. Sa mère est malade, sa femme l’a quitté et sa fille, qu’il ne voit presque plus, lui annonce qu’elle part vivre en Angleterre. La mélancolie des jours et des saisons qui défilent est décrite avec tendresse et réalisme. La solitude de son quotidien laisse également place à quelques souvenirs de son enfance et de sa vie de jeune père. Cet album, dans lequel on peut se plonger même sans avoir lu les précédents, raconte le deuil et la nostalgie.