Parler de séduction et de sexualité au Québec, voire rédiger un guide sur le sujet — voilà de quoi en effrayer plus d’un(e) tant le thème peut s’avérer large et pluriel!
Au coeur de la diversité culturelle
J’ai fondé Le Sofa Sexologique à Montréal en 2019. J’y travaille en pratique privée avec des individus et des couples, en collaboration avec des collègues sexologues. Ce cabinet de sexologie est un lieu de discussion dans lequel j’invite mes clients à faire le point sur leur vie, sans jugement ni pression.
En tant que thérapeute racisée, j’ai créé cet espace pour permettre également aux personnes nées de la diversité culturelle de consulter une spécialiste en position minoritaire, susceptible de comprendre leur réalité. En effet, à mes débuts dans le milieu, j’ai rapidement remarqué qu’une grande majorité des sexologues au Québec étaient des femmes caucasiennes francophones. Ce constat m’a motivée à prendre ma place dans le domaine afin, entre autres, de combler ce manque de représentation des minorités culturelles. Ainsi, au fil des ans, j’ai pu soutenir des centaines de couples interculturels, ainsi que des immigrants.
Aujourd’hui, en plus de ma pratique en cabinet, je donne des conférences dans les universités auprès d’étudiants internationaux et dans les organismes communautaires en immigration, afin d’aider les nouveaux arrivants à comprendre les codes sociosexuels propres au Québec.
Même après avoir voyagé dans une trentaine de pays et côtoyé des gens de milieux différents, les échanges que je peux avoir à travers la province continuent de me démontrer la profondeur et la beauté de l’expérience interculturelle.
J’ai pu en tirer quelques enseignements fascinants qui ne doivent surtout pas être confondus avec de potentielles généralisations à l’égard de certaines cultures. Je vous invite dans cet article à porter un regard bienveillant sur les stéréotypes présents dans nos sociétés, afin de déconstruire ensemble les préjugés. La diversité, tant culturelle que sociétale, est une richesse qui ne devrait pas être tenue pour acquise.
Les stéréotypes sexuels et l’égalité des genres
Selon les stéréotypes sexuels qui ont longtemps prévalu dans nos sociétés et qui continuent encore, à différents degrés, d’influencer notre pensée, les femmes seraient supposément plus douées avec l’éducation des enfants, plus douces, émotives et frivoles. Les hommes, quant à eux, sont souvent vus comme des pourvoyeurs, des leaders naturels, des personnes manuelles, sportives et flegmatiques.
Les clichés sexuels ne laissent aucune place aux singularités puisqu’ils nous enferment dans des boîtes bien définies. Au Québec, nous essayons de plus en plus de nous défaire de ces cadres rigides, et certains nouveaux arrivants sont parfois surpris de voir un homme barbu porter du vernis à ongles, ou d’apprendre qu’une petite femme comme moi était autrefois militaire.
Même si l’égalité des sexes est un objectif de société clair au Québec, plusieurs vous diront qu’il n’est pas encore atteint et qu’il reste du chemin à parcourir. Néanmoins, la situation des femmes ici demeure meilleure que dans certaines autres nations. Plusieurs immigrants (hommes et femmes !) en sont conscients, et vont même jusqu’à penser que les Québécoises sont supérieures aux Québécois. Cette réflexion peut être extrêmement déstabilisante lorsque notre culture d’origine limite le rôle des femmes.
Pendant l’une de mes conférences, un homme maghrébin a très bien résumé ce sentiment : « Ici, j’ai fini par comprendre qu’il est préférable que je m’adresse aux autres comme si tout le monde était non genré. La manière dont je parle à une femme ne doit pas être différente de celle dont je m’adresse à un homme. Aussi simple que cela puisse paraître, c’est nouveau pour moi. Au Maroc, notre façon d’être et de s’exprimer est certainement différente en présence d’une femme. »
La séduction
L’adhésion aux stéréotypes sexuels se manifeste surtout dans la manière d’aborder les hommes et les femmes. Lors des conférences, les questions que je reçois le plus fréquemment concernent les interactions sociales, qu’elles soient amicales, professionnelles ou amoureuses. « Comment séduit-on un(e) Québécois(e) ? Comment différencier une interaction amicale d’une interaction à caractère amoureux ? Pourquoi les Québécois peuvent-ils paraître si mous lors de la séduction, et les Québécoises si directes ? »
Il m’est cependant difficile d’y répondre clairement puisqu’on parle bien de codes sociaux non écrits ou encore implicites.
L’idée générale que j’essaie de transmettre est plutôt qu’au Québec, contrairement à d’autres lignes de conduite plus traditionnelles, les femmes et les hommes peuvent jouer un rôle passif ou actif lorsqu’ils souhaitent séduire. Les femmes peuvent faire les premiers pas (rôle actif) sans être perçues comme des femmes « aux mœurs légères ». Les hommes peuvent jouer le rôle passif et se laisser séduire, sans que leur virilité soit remise en question. Si nous sommes originaires d’un pays où les stéréotypes de genre dictent nos façons d’aborder l’autre (l’homme doit faire les avances et la femme doit se faire séduire), le dating au Québec peut bouleverser toutes les règles du jeu auxquelles nous avons été habitués depuis des décennies !
Le lieu d’approche constitue également un point important en matière de séduction. Au Québec, nous sommes généralement plus enclins à séduire et à nous laisser aborder dans des contextes bien définis : un bar, une boîte de nuit, un 5 à 7, une fête entre amis, un festival, voire même une conférence, mais pas dans une file d’attente pour le bus, au gym, au travail, ni lorsque nous marchons dans la rue. Certaines cultures ne font absolument pas de distinction : on peut approcher des inconnu(e)s sur le trottoir, et c’est normal de le faire. Une femme originaire du Cameroun m’expliquait qu’elle avait mis du temps à comprendre que le fait de ne pas se faire draguer souvent ici ne remettait pas en cause son pouvoir de séduction, et qu’il s’agissait simplement d’une question d’habitude.
« Lors des conférences, les questions que je reçois le plus fréquemment concernent les interactions sociales, qu’elles soient amicales, professionnelles ou amoureuses.“Comment séduit-on un(e) Québécois(e) ? Comment différencier une interaction amicale d’une interaction à caractère amoureux ?” »
Le mode de séduction le plus commun dans certains pays peut même être ici considéré comme du harcèlement sexuel. Au Québec, si quelqu’un vous approche et que vous avez signifié de manière verbale ou non verbale que vous n’étiez pas intéressé, l’autre per- sonne se doit de respecter votre refus. Dans d’autres cultures, il faut que la femme dise « non» pour ne pas avoir l’air d’une « femme facile », et l’homme doit insister pour démontrer le sérieux de sa démarche. Une partie de mon travail consiste donc à aider les gens à comprendre que la séduction est un échange dynamique entre deux personnes; un processus qui peut évoluer rapidement, et pendant lequel chacun doit s’amuser, comme un tango.
Dans certaines cultures, le concept du dating n’existe tout simplement pas. On commence par se fiancer, et c’est cette péri- ode de fiançailles qui permet aux personnes d’apprendre à se connaître. Si la relation ne fonctionne pas, alors les fiançailles sont rompues. Au Québec, cette phase se déroule habituellement lors du dating. Cela ne me surprend donc pas d’entendre parfois que les Québécois changent de partenaires aussi souvent qu’ils changent de chaussettes !
Dans d’autres cultures, le concept du mariage par amour relève un peu d’une fantaisie immature ; les mariages transactionnels sont beaucoup plus communs. Soyons clairs, toutes les relations sont transactionnelles à un certain niveau, même ici. Cependant, dans certains pays, ce niveau est élevé et cette réalité est reconnue et acceptée : il s’agit alors d’unions où le statut social, l’argent, les rôles des partenaires ainsi que le sacrifice personnel des envies et des besoins individuels seront davantage mis en avant.
L’interculturalité
Malgré mes observations et courtes conclusions, je sais pertinemment qu’en fin de compte, les relations et les dynamiques interpersonnelles ne reposent pas unique- ment sur des coutumes et des conventions culturelles. Les individus en soi sont dif- férents, ainsi que les générations. Si nous mélangeons les aspects culturel, individuel et générationnel, nous obtenons donc un niveau de complexité exponentiel ! Mais ce n’est pas parce qu’il s’agit d’un phénomène complexe qu’il est impossible à naviguer.
John Gottman, chercheur éminent en science des relations et du mariage, a étudié et analysé des milliers de couples, et affirme que toutes les relations sérieuses constituent une expérience interculturelle1. Même lorsque deux personnes sont de la même région, elles viennent finalement de familles différentes et bâtissent un nouveau clan. Cela donne lieu à une nouvelle culture, avec ses propres règles, traditions, normes et célébrations.
Le Sofa Sexologique est un cabinet moderne qui offre des consultations privées à Montréal et en virtuel. Sa mission, en plus d’aider les individus et les couples, est de vulgariser la sexologie, soit la science de la sexualité et des relations, auprès du grand public. Les entreprises et les organisations bénéficient quant à elles de conférences concernant l’intégration sociosexuelle des immigrants, mais aussi la gestion de conflits, la satisfaction conjugale et la réappropriation d’une sexualité saine.
Source
1 The Gottman Institute. « Thérapie de couple – Méthode Gottman – Niveau 1 » (traduction libre ; Gottman Method Couples Therapy – Level 1), dans The Gottman Institute| A research-based approach to relationships, [En ligne], 1996, mis à jour en 2023. [https://www.gottman.com/prod- uct/gottman-method-couples-therapy-level-1/] (Consulté le 13 janvier 2023).