La ville de Winnipeg, réputée pour être extrêmement froide, reçoit seulement 100 centimètres de neige par année, contre 230 centimètres à Montréal. De toutes les grandes villes canadiennes, Montréal et Québec sont celles où il neige le plus. Mais qu’en est-il du rapport des Québécois à l’hiver? L’apprécions-nous à sa juste valeur?
C’est pour répondre à cette question qu’en janvier 2019, Rues Principales, Vivre en Ville et La Pépinière | Espaces Collectifs lançaient le Laboratoire de l’hiver, une organisation ayant pour but de créer un cadre commun d’intervention afin de se réapproprier la saison hivernale. Cette collaboration a également donné naissance au guide Ville d’hiver, qui répertorie des solutions pour faciliter l’hiver en ville par le biais de l’aménagement des espaces publics, de l’accessibilité universelle et du mobilier urbain. Olivier Legault, urbaniste et cofondateur du Laboratoire, dresse un portrait réaliste, mais optimiste de l’hiver en ville.
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Bonjour Olivier. En tant qu’urbaniste, qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à l’hiver en contexte urbain ?
Olivier legault
« Je suis originaire de Québec, là où l’hiver est plus facile, plus franc peut-être? Plus assumé certainement, et surtout moins instable qu’à Montréal, qu’on considère comme une ville d’hiver mouillé. Je suis venu à Montréal pour étudier; j’ai une formation en géographie culturelle (donc tout ce qui touche au rapport culturel au territoire, à l’homme dans le territoire), et en urbanisme.
L’un de mes professeurs, Claude Marois, géographe urbain, a un jour souligné que les propositions des urbanistes n’étaient jamais adaptées à notre réalité climatique et géographique. Quand il a dit ça, ça a tellement raisonné en moi. C’est en réponse à cette remarque que je me suis intéressé à toute la recherche déjà faite sur les villes et l’hiver. Je suis d’ailleurs allé passer une session en Suède, à l’Université de Lund, où j’ai fait des études de cas sur des villes nordiques et des villes d’hiver. »
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La mission du Laboratoire est de réinventer l’activité hivernale en milieu urbain dense. Quelle est la différence entre la façon dont l’hiver se vit en ville, et à l’extérieur de la ville ?
Olivier legault
« J’aimerais d’abord préciser que les centres-villes de Plessisville ou de Victoriaville, par exemple, sont des milieux urbains denses à nos yeux. L’urbanité est partout sur le territoire québécois.
Quand on regarde la géographie des activités hivernales, il n’y a rien de plus beau qu’une forêt boréale enneigée avec un petit ruisseau qui gèle un peu, où le courant passe quand même, à l’abri du vent grâce aux conifères, avec autour les traces des animaux dans la neige. C’est magnifique, et c’est normal que ces lieux soient prisés pour les activités hivernales. C’est le plus beau de l’hiver.
Parce qu’il faut bouger et marcher pour ne pas avoir trop froid, l’activité hivernale traditionnelle n’a pas lieu dans des milieux urbains denses ni dans des petits espaces publics. Cependant, si l’on veut profiter de l’hiver en ville, il faut savoir trouver des solutions. Installer un jeu de curling à l’extérieur par exemple, ça ne prend pas de place et ça fait bouger sur une petite superficie. Idéalement, on l’entoure d’une cabane où l’on sert du chocolat chaud, de quelques lumières pour illuminer les soirées qui commencent tôt, et d’installations artistiques colorées qui contribuent à égayer la ville souvent grise en hiver. Bien évidemment, on vérifie qu’il est possible de déneiger et déglacer facilement. Il faut également s’assurer, autant que possible, que le lieu n’est pas dans un corridor de vent au pied d’une tour, et que le niveau d’exposition au soleil est optimal. Quand on sent qu’on a du beau soleil même l’hiver à -10 °C, on s’arrête un instant et on l’absorbe. Au Laboratoire, on cherche absolument à créer ce moment-là ! »
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Quelles sont les activités du Laboratoire?
olivier legault
« On crée des prototypes d’espaces publics, on fait de la recherche. On imagine de nouveaux produits afin de mieux profiter de l’hiver. On a entre autres conçu des modules de jeux quatre saisons pour les plus jeunes ; une crazy blanket qui permet à la fois de se réchauffer autour du feu et de faire de la glissade sur neige. On aimerait même développer une gamme de beaux abris Tempo et en faire de vraies œuvres d’art!
On réfléchit également au mobilier urbain : par exemple, un banc de parc, ça ne fonctionne pas l’hiver. On a eu l’idée des accotoirs qui sont plus hauts, à la hauteur des fesses. Comme ils sont verticaux, ils n’ont pas besoin d’être retirés quand les grattes passent. Ils se déneigent tout seuls et n’accumulent pas la glace. On essaie de trouver des alternatives à ce qui est normalement pensé pour l’été seulement. »
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Le guide Ville d’hiver propose notamment de « Déneiger moins, déneiger mieux, déneiger pour l’accessibilité universelle». Que ferions-nous avec la neige ?
olivier legault
« On la laisserait là! Il faut se demander, en tant que société, si l’on a vraiment besoin de déneiger autant, tout le temps. Quand est-ce que le déneigement est adéquat, suffisant? Quand on discute avec des employés des travaux publics qui sont en poste depuis 20 ans, ils nous disent qu’ils ont relevé de beaucoup le niveau de service dans les dernières années. La pression ne finit pas de croître. Voulons-nous réellement mettre autant d’argent dans ces opérations coûteuses?
La densité urbaine amène nécessairement la contrainte du déplacement et de l’accessibilité universelle. Il faut bien sûr penser aux aînés, aux personnes en fauteuils roulants, aux parents avec des poussettes. Mais de l’autre côté, on a aussi des mères et des pères qui voudraient bien que les rues restent enneigées parce que c’est agréable d’amener son enfant à la garderie en traîneau! Il faut entretenir les rues dans une certaine mesure, mais la question du déneigement, comme bien d’autres, est une question importante. Elle joue sur celle des déplacements, qui, quand on regarde les sondages, ressort comme l’irritant principal de la saison froide pour les citoyens. »
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Vos travaux parlent beaucoup d’hivernité. Qu’est-ce que c’est, exactement ?
olivier legault
« C’est une expression qui nous vient de Louis-Edmond Hamelin, un linguiste et géographe québécois qui a beaucoup travaillé sur le concept de nordicité, en développant notamment un vocabulaire de plus de 300 termes pour parler de l’hiver.
L’hivernité, c’est une manifestation saisonnière de conditions nordiques. À Montréal par exemple, alors que nous sommes situés au 45e parallèle, je trouve plus adapté de parler d’hivernité que de nordicité, notamment par respect pour les gens qui vivent plus au nord ! Montréal est particulière : malgré notre latitude, on reçoit énormément de neige et il fait très froid. Alors que nous sommes situés vis-à-vis de Bordeaux, nos conditions de froid et de neige se comparent pourtant à celles de Moscou, une autre grande ville certes, mais située beaucoup plus au nord. »
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Entre ceux qui ont positionné les Québécois comme une population nordique, dont Hamelin, et ceux comme Alain Dubuc, auteur de Maudit hiver, qui perçoivent plutôt l’hiver comme une parenthèse désagréable interrompant notre mode de vie estival, la saison froide fait couler beaucoup d’encre! Où vous situez-vous?
olivier legault
« Clairement, le rapport à l’hiver est plus conflictuel que le rapport à l’été ! Et, qu’on l’aime ou pas, il a un impact notable sur notre vie.
Pour ma part, j’aime bien concevoir le rythme des saisons, et l’hiver dans une année est loin d’être anecdotique ! Quand on parle d’hivernité, on assume la saisonnalité, mais plus que ça, on admet qu’il y a quelque chose de spécial qui change fondamentalement nos modes de vie l’hiver, et qui nous définit. Qui crée une identité partagée par les gens vivant sur un même territoire. Ça fait appel au sentiment de communauté, au collectif. Il y a quelque chose de très inclusif là-dedans, et un trait identitaire inclusif, c’est un beau cadeau ! »